Territoire terrestre: La Géographie, ça sert d'abord à faire l'amour, 1998. 4,88 x 2,44 x 0,30 m. Terre cuite, tôle peinte, bois peint, billet de banque et plastique. Terracotta, painted plate, painted wood, banknotes and plastic. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Alain Lauret.
Savannah
J’ai emprunté à l’ossature du temps
la trace carbonisée d’une histoire...
Aujourd’hui sous le soleil de Savannah
Je parcours à grand pas la caldera granitique
isolée par des vagues tressées, salées...
Je cherche dans les hautes herbes du passé
les pas incandescents de la foule silencieuse
mon oeil cyclone incrusté dans la pierre du
volcan mal éteint imprime chaque parcelle
des territoires occupés
Dans la mouvance des non-dits, j’arpente
en soufflant le royaume des hommes tout-couleur
Devant la fureur des chiens hurleurs
je capte les morceaux du réel
malgré le silence tragique de nos pères
Toujours inquiet du vol noir circulaire
des oiseaux de mer
dans le parfum des peaux de couleur
je m’engage à faire pousser au delà
du désespoir les sentiers interdits de
la mémoire
Au rythme d'un malabar-tambour
dans l’espoir fêlé d’un maloya-kabar
M’inspirant du fracas d’acier sur le
cou de l’animal familier
dans le sillage vermeil-sang
des dieux vagabonds
je m’obstine dans l’honneur singulier
de nos formes pensées
à roder l'objet-délivrance
inséré dans le plissement
des hautes vagues végétales
loin de la coupure fémorale du temps.
Jack Beng-Thi, Septembre 1993
Savannah
I borrowed from the skeleton of time
the charred trace of a history...
Today under the sun of Savannah
I stride along the granite crater
isolated by braided, salty waves...
I search among the tall grass of the past
the blazing steps of the silent crowd
my cyclone eye, embedded in the rock of this
half-extinguished volcano, leaves its imprint
on each plot of the occupied territories
In the realm of the unsaid I survey,
as I puff, the kingdom of all-coloured men
Before the fury of the howling dogs
I catch the pieces of reality
despite our fathers’ tragic silence
Always wary of the black circling fight
of seabirds
in the perfume of coloured skins
I try to push beyond despair
memory’s
forbidden paths
To the rhythm of a malabar-drum
with the mad hope of a maloya-kabar
Inspired by the steel blare on the
neck of the familiar animal
in the blood-red wake
of the wandering gods
I insist with the distinct honour
of our thought-out forms
on grinding the deliverance-artifact
inserted in the fold
of the high vegetal waves
far from the femoral cut of time.
Jack Beng-Thi, September 1993
Territoire I Volcan - Spirale, Cyclone, 1993. 1,50 x 1,50 x 1,10 m. Fibres végétales (vétiver), rotang, fils de nylon et pierre. Plant fibres (vetiver), rotang, nylon and stone. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Alain Lauret.
Territoire II - Intérieur, 1993. 2,50 x ø 1 m. Suspendue. Hanging. Fibres végétales, bois peint et acier. Plant fibres, painted wood and steel. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Alain Lauret.
Territoire III Kabar/Maloya, 1993. 1,50 x 1,50 x 1,10 m. Fibres végétales (vacoa), peau, inox et bois peint. Plant fibres (vacoa), skin, stainless steel and painted wood. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Alain Lauret.
Territoire IV - Animal - Sang - Temple Dieu, 1993. 1,50 x 1,80 x 1,10 m. Fibres végétales, vacoa, acier et bois. Plant fibres, vacoa, steel and wood. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Alain Lauret.
Territoire d'initiation: La pyramide aux esprits, 1999. 1,50 x 1,50 x 2,50 m. Terre cuite, bambou, fibres végétales, lumière. Terracotta, bamboo, plant fibres and light. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Agnès Rodier.
Territoire Stellaire: 150 gardiens au pays des étoiles, 2000. 8 x 1,20 x 1,20 m. Suspendue Hanging. Terre cuite, fibres végétales, fil de nylon, fibres optiques colorées rouges et bande sonore. Terracota, plant fibres, nylon, red coloured optical fibres and soundtrack. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Jacques Kuyten.
Ligne bleue - Héritage, 1996. 50 x 1,80 x 0,40 m. Fibres végétales, acier peint, tissus peint, terre cuite, cheveux et sel. Plant fibres, painted steel, painted fabric, terracotta, hair and salt. COLL. FRAC-Réunion, Île de La Réunion. PHOTO Alain Lauret.
Îles
Il y a des îles
Grandes îles
Petites îles
Presqu’îles
Continent éparpillé dans les mers et les océans
Grains de beauté du monde...
.....................
Îles enchaînées depuis l’aube des temps à l’odeur du sucre
Îles remplies d’arbres puissants, mémoire des forêts
Îles à oiseaux-coccinelles qui vivent sur la longue route du désastre
Îles à sel submergées et rongées par des océans féconds
Îles au vent soufflant dans l’amour leur spores aux milles couleurs de peau
Îles à “Jakos” qui dansent la misère du monde dans la rage des sorciers
Îles en chapelet pour conjurer l’histoire amère du sang noir
Îles en révolution pour vaincre l’héritage des négriers
Îles à parfums aux milles désirs incrustés dans le cœur des madrépores
Îles volcans gardiens du feu sacré de la terre
Îles des solitudes sans fond où se consume la vie des parias
Îles cachées dans la brume où résonne le chant des sirènes en exil
Îles alambics où se distille dans la rumeur des grands larges le credo des peurs ancestrales Îles de glace, cathédrales dressées comme des diamants à la surface du temps immémorial Îles désertes, refuge de la pensée d’oiseaux migrateurs
.....................
Il y a aussi des îles sans nom qui martèlent depuis leur naissance le mot liberté.
Jack Beng-Thi, Juillet 1997
Islands
There are islands
Big islands
Small islands
Near-islands
A continent scattered in seas and oceans
Beauty marks of the world...
.....................
Islands chained to the smell of sugar since the dawn of time
Islands filled with powerful trees, memory of the forests
Islands with beetle-birds that live on the long road of disaster
Islands of salt submerged and corroded by fertile oceans
Islands in the wind blowing into love their spores of a thousand skin colours
Islands with “Jakos” dancing the poverty of the world in the rage of sorcerers
Islands like rosaries to ward off the bitter history of black blood
Islands in revolution to overcome the legacy of slave drivers
Islands with the perfumes of a thousand desires embedded in the hart of madrepores
Islands-volcano, guardians of the earth’s sacred fire
Islands of bottomless solitudes where the life of pariahs consumes itself
Islands hidden in the mist reverberating with the song of exiled mermaids
Islands where the credo of ancestral fears is distilled in the murmur of the open seas
Islands of ice, cathedrals standing like diamonds on the surface of time
immemorial
Desert islands, refuges of the mind for migratory birds
.....................
There are also nameless islands that hammer since their birth the
word freedom.
Jack Beng-Thi, July 1997
21° Sud: île, sucre, solitude et peur, 1998. 4 x 3 x 0,50 m. Installation éphémère. Ephemeral installation. Sucre, bambou, terre cuite, fil rouge. Sugar, bamboo, terracotta and red thread. CO. CAAM, Centro Atlántico de Arte Moderno, Las Palmas de Gran Canria. PHOTO Jacques Kuyten. Photo. Photograph 2 x 1,50 m
Pour un Manifeste
Dans le grand vacarme international des prises de possession, tous les peuples de l’Histoire, tous les pays sont concernés.
Pour des besoins que l’homme d’aujourd’hui analyse comme surtout économiques, on rapta, on s’empara, on colonisa, depuis toujours, et de façons très différentes.
Il y eut des temps de colonisations en sauts de puces, leurs extensions, puis vinrent les temps modernes, ceux de toutes les prises de possession.
Les mers redoutables traversées avec pour seuls guides les côtes, les traditions de marins, et les signaux sacrés des étoiles connues, comme pour les Hindous, les Chinois, les Arabes.
Il y eut le tour du monde des portugais, semant ensuite pour le commerce leurs comptoirs-forteresses en monde swahili, en Inde, en Indonésie, en Cochinchine.
Puis il y eut le Savoir capitalisé autant que les richesses, une Science preneuse de mondes : les tentatives de contrôle de territoires entiers, de terra incognita.
Au cours des temps, tous voulurent dominer : les chinois, les peuples sibériens, les mogols, les arabes, les espagnoles, les portugais, les hollandais, danois, français, allemands, anglais... américains. Le Japon fasciste essaya... le siècle dernier.
Aucun peuple, en son sein, au regard de l’histoire n’est épargné par les conflits internes, les luttes de pouvoir interminables, aussi longues que la vie, persécutrices, souvent. Mais l’histoire n’est pas un martyrologe.
A chaque peuple ses problématiques de géographie, de géologie, de climats, s’ajoutant partout, aux étrangetés dans les structures des sociétés, dans leurs formes de pouvoirs, leurs démographies.
Et c’est cela qui fut utilisé par tous les conquérants, et par les colonisateurs des temps modernes. C’est cela que balayait l’invasion de certaines technologies utilisées pour briser une armée, pour casser un vieux marché, pour en créer un autre.
Une fois aboli l’esclavage, celui des européens, car tous ne l’ont pas été, vint le temps du travail forcé colonial, et le temps des « engagés ».
Nos ancêtres ont quitté un espace dramatique dans la turbulente ronde des races, subissant une projection des continents vers les îles, trimballant des miettes de culture sur leur dos informes.
Un contrat pour une vie, un autre univers ?
Nous retenons après bien des générations la marque violente faite à leur esprit et à leur corps, mais cependant leur résistance pour garder l’essence de la terre d’origine afin de ne point rompre le fil de la mémoire.
De la lutte, nous avons su créer à notre tour avec force et avec abnégation un espace de libre expression en conquérant un à un les champs perdus : le geste, la parole, les mouvements... et les chants lointains.
Je perds dites-vous mon identité ? Non : je la retrouve chez l’Autre, compagnon de la longue marche, dans la graduation des couleurs et des langages.
C’est une sorte de va et vient comme le sang qui circule dans un grand corps en renaissance. C’est un équilibre entre l’individuel et le collectif. La créolité, c’est une affirmation profonde de nous-mêmes, avec force et amour. Et avec une conscience : celle d’être la créolité.
De toutes ces situations dramatiques vécues, refoulées, rappelées, vouées aux pardons, aux reproches, à toutes haines , à toutes rédemptions, résulte une situation nouvelle : nous avons tous les moyens moraux, spirituels, et matériels afin de recréer pour nous un espace de liberté.
Transformons nos amertumes, cessons nos lamentations.
Une recréation dans l’Océan Indien : l’espace indocéanique.
Il nous faut recréer des espaces pour y être libres demain, et par ce cheminement, nous approcher de certains bonheurs.
Jack Beng-Thi, Port de la Pointe-Des-Galets, Juin 2010
Towards a Manifesto
All the peoples and all countries in History were involved in the grand international upheaval of conquests.
Driven by needs that are seen from today’s perspective as fundamentally financial, the practises of kidnapping, conquest and colonisation have taken place in all different eras and in many different ways.
There were once times of colonisations made little by little, step by step. Then came the modern era, the age of all-out conquests.
When crossing the terrifying expanse of the oceans, the only guide was the coastline, the lore of seafarers and the holy signs of plotted stars, just as Indians, Chinese and Arabs had done.
The Portuguese travelled around the world before dotting the Swahili world, India, Indonesia and Cochinchina with their forts-factories.
Next followed the arrival of Wisdom, an asset as capitalised as riches, a Science to conquer worlds and control whole territories, the terra incognita.
Down through time, everybody has tried to exert their dominance: Chinese, Siberian people, Mongols, Arabs, Spaniards, Portuguese, Dutch, Danes, French, German, English... the USA. Fascist Japan attempted it... in the last century.
No people in history has been exempt from internal conflict, from never-ending power struggles, one following the other, as long as life itself. But history is not a list of martyrdoms.
In each people, the singular features of geography, geology and climate are added to the specificities of its social structures, modes of power and demographics.
That is what all conquerors and colonisers of modern times learnt to use to their benefit. That was what was swept away by the invasion of certain technologies used to bring an army to its knees, to destroy an old market and create a new one.
Once the slavery practiced by Europeans was abolished—because other forms still exist—the time arrived for colonial forced labour and paid labour, what were called “engagés”.
Our ancestors came from a dramatic space, the tumultuous commotion of races, propelled from continents to islands, carrying with them little bits of culture on their shapeless backs.
A contract for life, a new world?
For generations now, we have bore the violent scar left on their minds and on their bodies, but we have also inherited their resistance to preserve the essence of the land of origin and to avoid breaking the thread of memory.
In the struggle we too have also learnt to create, with power and abnegation, a space for free expression, conquering the lost territories one by one: gesture, Word, movements... and faraway chants.
Are you saying that I’m losing my identity? No way. I am finding it in the Other, my companion on the long journey, in the spectrum of colours and languages.
A coming and going, just like the blood circulating in a reborn body. A balance between the individual and the collective. Creolism is a profound affirmation of ourselves, made with strength and with love. And with the consciousness of being Creolism.
The outcome of all those dramatic situations experienced, rejected, recovered, deserving of forgiveness, of reproaches, of all sorts of hatreds and redemptions, is a new situation: we have all the moral, spiritual and material resources to recreate our own space of freedom.
Lets transform our bitternes. It’s time to stop lamenting.
A recreation in the Indian Ocean: the Indo-Oceanic space.
We must recreate spaces which will give us a future freedom, and along the way, help us reach satisfaction.
Jack Beng-Thi, Port de la Pointe-Des-Galets, June 2010