top of page
Made in China

Made in China, 2009. 15 x 15 x 15 m. Installation éphémère. Ephemeral installation. Arbre, inscription et produits de Chine en suspension. Tree, inscription and hanging products from China.

Galerie Béatrice BINOCHE

Jack et le Lotus Bleu

Le XVIIème siècle est animé par une grande révolution intellectuelle et un gigantesque bouillonnement culturel. C’est le siècle où les grandes civilisations sont en mouvement, à la rencontre les unes des autres.

Dans le Sud-ouest de l’Océan Indien, La Réunion, vierge île tropicale, accueille à cette époque, des peuples venus de territoires proches et lointains ; la France, l’Afrique, l’Inde, la Chine ; autant d’étapes qui ponctuent la fameuse route des Indes. Une route commerciale où croisent les navires des grandes nations européennes en quête des merveilles de l’Orient.

C’est de cette petite terre paradisiaque, comme la décrivaient, alors, les marins, que trois siècles plus tard, Jack Beng-Thi entreprendra, lui, de multiples voyages qui l’amèneront à rayonner autour de la planète en direction de l’Occident et de l’Orient. En France, en Amérique Latine, en Afrique, en Inde et en Chine. C’est en quelque sorte, une quête initiatique qui l’amène à parcourir ces longues routes dans le sens inverse de celui de ses ancêtres. Une quête des origines, une quête universelle de la terre d’origine.

Et c’est précisément la terre, la matière qu’il malaxe, tord, écrase, brutalise, puis adoucit, modèle et polit avant de la cuire et la fixer. La terre cuite est son fil d’Ariane, elle le conduit et le guide dans chacune des étapes de cette recherche qui est à la fois personnelle, spirituelle, intellectuelle et artistique.

L’art de Jack Beng-Thi s’ancre dans la terre et puise aux sources multiples des civilisations qui se sont rencontrées aux hasards de ce mouvement général des populations nait au XVIIème siècle.

LA MER DES ORIGINES

Le coquillage des mers du sud que Rembrandt dessine et grave en 1650 à Amsterdam (Rijksmuseum, Amsterdam) est l’occasion pour l’artiste de s’exercer à un jeu d’ombre et de lumière dont il est passé maître. Mais ce coquillage qui provient du lointain Océan Indien est l’un de ces objets étranges qui figure dans la collection personnelle du peintre. C’est un cône marbré dont il dessine le portrait en gros plan sur un fond presque neutre. La coquille est noire et seule une ombre qui souligne ses contours révèle qu’elle est posée, montrant sa fente, sa spirale et ses motifs de triangles et de losanges blancs. L’attention portée à cet objet étrange venant du bout du monde et le mystère qui l’entoure, Rembrandt les magnifie. Cette œuvre témoigne également de l’euphorie générale qui gagne la Hollande du XVIIème siècle grâce à la VOC (Vereenigde Oostindische Compagnie), créée en 1602, et qui devait faire de la Hollande la plus grande des puissances européennes d’Asie.

La Compagnie hollandaise des Indes orientales est, alors, une organisation solide, bien gérée, forte de capitaux privés et d’excellents navires qui vont se lancer dans des activités commerciales à grande échelle mais aussi des attaques guerrières contre les portugais. 

Ces East Indiamen de la VOC, navires petits mais rapides vont rapporter de leur périlleux voyages des trésors, un ensemble de « bizarreries », de petits objets, naturels ou artificiels mais précieux qui alimenteront la passion des collectionneurs européens lesquels les rassembleront dans des cabinets de curiosités, sorte de microcosme. Cet antre mystérieux peuplé d’animaux, de coraux, d’étoile de mer et autres gemmes, était dédié à la méditation, à l’étude et à la réflexion sur la nature, le monde, le nouveau monde.

Les peintres hollandais du XVIIème siècle vont donner ses lettres de noblesse au genre pictural de la nature morte, pendant en deux dimensions, du cabinet de curiosité et qui, à l’image de la magnifique Nature morte au nautile de Willem Kalf, concentre en elle tout l’attrait des mondes nouveaux, la fascination pour ces objets merveilleux venus de lointaines contrées comme le nautile des mers chaudes magnifié par sa monture en vermeil, le somptueux tapis persan, le délicat cristal de Venise et la porcelaine bleu et blanc de Chine, curiosité rare et principal objet du commerce de la VOC.

Les voyages sont longs et risqués en raison des conditions météorologiques, des circonstances militaires et de l’état de la mer. Mais l’extraordinaire dynamisme, l’enthousiasme et le courage des navigateurs hollandais leur permettent de découvrir des routes inconnues et des contacts humains et commerciaux. Dans cette frénésie des compagnies vers les Indes, la cartographie nautique, la spécialité hollandaise deviendra la première et leurs cartes marines sont alors vendues dans toute l’Europe. Plus de huit mois de navigation conduiront presqu’un million d’aventureux, de marins, de militaires et de négociants hollandais d’Amsterdam à Batavia (l’actuelle Jakarta) capitale de la VOC en Asie. Ce périple ou se mêlent espoir, intérêt, curiosité, joies et souffrances longe les côtes africaines et après un ravitaillement au Cap de Bonne Espérance, trois routes s’ouvrent dans l’Océan Indien : le canal du Mozambique, les îles Mascareignes et la plus longue, lorsque les îles Saint-Paul et Amsterdam seront connues, par le détroit de la Sonde avant d’aborder les côtes chinoises et japonaises.

La cargaison de ces vaisseaux, souvent abîmés en mer, victimes de naufrages ou de piraterie, témoigne de cet intense échange entre l’Orient et l’Occident : Parmi ses découvertes, l’archéologie sous-marine compte le Mauritius, naufragé au large des côtes gabonaises en 1609 ; leWitte Leeuw sabordé par les portugais près de Sainte Hélène en 1613 et le Banda naufragé près de l’île Maurice en 1615. La baie de Manille vit, le 14 décembre 1600 une lutte acharnée entre deux puissances européennes : le Mauritius du hollandais Olivier de Noort et le San Diego, galion espagnol de Antonio de Morga. En 1992, les fouilles sous-marines du San Diego coulé au large des côtes de Manille ont révélé l’importante activité d’un commerce international entre l’Extrême-Orient et le Nouveau monde.

 

La Mer Rouge, depuis longtemps une sphère d’influence chinoise, était déjà le lieu d’un fructueux commerce entre la Chine, le Japon et l’Asie du Sud-est. L’archipel des Philippines sous domination espagnole depuis un siècle allait contribuer au développement des échanges. Arrivait alors, en Chine une masse d’argent provenant des gigantesques gisements de Potosi. La plata del Perú déversée par la montagne d’argent de Potosi, dans l’actuelle Bolivie, fascinait autant les européens que les chinois. Les pesos d’argent frappés en Amérique circulaient dans le monde entier et permirent la croissance d’un réseau commercial international en Europe du nord, en Méditerranée, en Inde et en Chine. A 4 000 mètres d’altitude Potosi était une ville de 100 000 habitants avec une élégante architecture espagnole dans laquelle s’étalaient tous les produits de luxe du monde dont les somptueuses soieries et porcelaines chinoises. Pour assurer cet échange, l’argent était embarqué sur les galions espagnols à Acapulco qui traversaient les océans jusqu’à Manille. Au XVIIème siècle, Manille était un point de rencontre entre le flux d’argent venant des mines espagnoles d’Amérique du Sud et celui de la soie et de la porcelaine, produits manufacturés en Chine et devenus les denrées majeures dont les prix étaient vingt fois supérieurs aux produits alimentaires. En 1637, à Mexico, quatorze mille personnes participaient à la prospérité d’une industrie spécialisée dans les soieries chinoises. De son côté, en Chine du Sud, à Jingdezhen, des dizaines de milliers d’ouvriers fabriquaient une autre élégante rareté : la porcelaine. Manille est alors reliée à Acapulco par quatre galions chaque année et le San Diego coulé par les hollandais en 1600 était chargé de ces précieux et fragiles bleu et blanc, porcelaines fines et exceptionnelles qui ornaient les tables des plus fortunés. Ce galion espagnol qui gît, à présent en mer au large de Manille, devaient être chargé de la même cargaison que celle de deux autre navires espagnols l’année suivante, le Santiago et le San Juan qui emportaient de l’or, de la cannelle, 712 pièces de soie et 22 300 pièces de porcelaine. La découverte du San Diego apporte un témoignage matériel de ce monde en pleine transformation, de ces nombreuses rencontres et de l’ampleur de l’activité maritime d’un bout à l’autre de la planète. Pour la première fois dans l’histoire se met en place un immense réseau économique dans lequel la porcelaine a joué un rôle essentiel.

A l’issu de ce combat, le victorieux Mauritius d’Olivier de Noort poursuivra sa course vers l’Europe où les hollandais sont les principaux pourvoyeurs de porcelaine.

Sur ces mers où affluent les navires, la VOC hollandaise s’installera peu de temps aux Mascareignes, mais ce sera la Compagnie des Indes françaises qui prendra définitivement possession de La Réunion. L’île bercée par l’Océan Indien est, sur cette route maritime, un point de rencontre des peuples européens, africains et asiatiques.

Ce croisement de population, Jack Beng-Thi l’a concentré dans une œuvre de 1996 intitulée Zhu zi, territoire des objets non identifiés, une installation suspendue au moyen de câbles au mur du Musée Léon Dierx à Saint-Denis. C’est une compression rectangulaire de fibre de bambou tissées, liées et collées, entre lesquelles sont insérées des matériaux divers : bris de céramique, coupures de journaux, particules de métal, morceaux d’étoffe, pigments colorés... Par terre, un espace aux dimensions équivalentes, délimité par une structure de bois peint en blanc, semble prêt à accueillir l’ensemble feuilleté et compact retenu dans l’air à 1,10 mètre du sol.

A l’extérieur et contre le mur du musée, l’installation de Jack Beng-Thi, se veut aussi être une réaction contre le musée colonial d’autrefois, instrument de domination culturelle sur une population dont la pensée et l’histoire aussi diverses qu’éloignées du monde européen furent toujours niées. 

Cerné par ce qui ressemble le plus à une palissade de jardin européen, ce territoire au sol nous renvoie à la pensée développée par Simon Pugh dans Garden, Nature, Language (1988) selon laquelle la nature appropriée et contrôlée par l’homme ; le jardin cultivé et ordonné pour créer l’illusion d’un ordre naturel, est en relation directe avec l’esprit de domination et de contrôle des populations qui passe par l’imposition d’une langue, d’une religion, de valeurs. Ce territoire figure La Réunion colonisée et administrée par la France qui attend de recevoir « les objets non identifiés » que suggère la multitude de fragments de matière, arrachés, détachés de leur unité initiale et insérés dans le « Zhu zi », le bambou en chinois.

Ce « conglomérat » d’individus aux origines diverses envoyés pour l’exploitation économique de l’île, ce peuple réunionnais en devenir formant un ensemble imbriqué, lié, mêlé, tissé, collé, reste suspendu dans l’air. Rien n’est encore décidé pour lui, il attend un nouveau territoire pour s’épanouir.

Cercueil ou berceau ? Le périmètre dessiné pour lui au sol est parsemé de chaumes de bambou de couleur argentée. Taillés en biseau, ils préfigurent une pénétration métallique violente, le choc des cultures. Matières organiques si chères à l’artiste, Zhu zi, territoire des objets non identifiés ne serait-il pas le territoire des individus non identifiés ? « Liu min zhu dao » désigne en chinois l’île de La Réunion et signifie littéralement : « L’île dans laquelle ont été déversées des populations étrangères ». A l’instar des chinois dans leur langue imagée, la création de Jack Beng-Thi concentre l’idée, l’image, l’histoire d’une île et de son peuplement peu ordinaire.

L’artiste a choisi le bambou de Chine dont la symbolique, maintenant légendaire, l’associe à la résistance, à la souplesse et au dynamisme végétal le plus pur. Il introduit un mouvement arrêté, suspendu dans l’espace et le temps, il ouvre ainsi une perspective dans laquelle il est permis d’imaginer le pire comme le meilleur, faisant de « Zhu zi » un domaine riche d’une infinie potentialité.

 

LA MATRICE

Ce constat d’un arbre généalogique aux branches arrachées, Jack Beng-Thi cherche à le reconstituer.

En Afrique, où les arbres, rares sur la côte, sont des sanctuaires, il y puise son inspiration. Après plusieurs séjours au Sénégal, il réalise en 2003, une installation-performance : Libations historimagiques pour L.S. Senghor autour d’un baobab qu’il choisi, isolé et éloigné de la ville de Joal-Fadiouth. C’était une intuition d’artiste qui l’y a conduit : ce baobab est un arbre vénéré par les villageois, c’est pour eux un lieu sacré qui aurait dû être la dernière demeure du poète, l’arbre généalogique de sa famille. Jack Beng-Thi lui rendra hommage sous cet arbre en réalisant une performance et une cérémonie à laquelle ont participés des musiciens, des acteurs, des poètes et aussi des lutteurs. Les photographies de ces hommes noirs au crâne rasé couverts d’une terre rousse et qui s’affrontent avec l’élégance d’une danse sont à l’image des sculptures de terre cuite que l’artiste réalise depuis de nombreuses années.

En France, Jack Beng-Thi s’enrichit des techniques artistiques à l’école des Beaux-Arts de Toulouse puis à Paris mais s’arme également d’un solide bagage littéraire.

En Amérique Latine où il voyage quelques années, il découvre l’art des grandes et nombreuses civilisations d’avant Christophe Colomb. La pierre sculptée bien sûr mais surtout la céramique. L’Amérique du Sud fut aussi colonisée et, depuis, les gouvernements se succèdent révoltes après révoltes. C’est au Chili, à la recherche du poète Pablo Neruda, autre globe-trotter, que Jack Beng-Thi termine son périple latino américain à la suite du coup d’état de 1973. 

Enfin, nouveau départ, nouvelle terre à explorer, la Chine ! Dans le cadre d’une résidence d’artiste, c’est tout naturellement à Jingdezhen qu’il entre en contact, pour la première fois, en 2005, avec le mythique Empire du Milieu.

Jingdezhen, capitale de la porcelaine est une cité connue depuis le Xème siècle pour ses grès blancs. La ville est devenue célèbre pour sa porcelaine blanche, raffinée et fine. Quant au bleu, l’oxyde de cobalt, il est extrait des montagnes de Kashan en Asie Centrale et acheminé par la Route de la Soie depuis le VIIème siècle. La porcelaine est née du progrès dans la fabrication des fours et de la découverte d’une terre particulière qui permet d’obtenir une pâte très blanche : le kaolin terre d’origine volcanique blanche extraite d’une montagne, Gaolinshan, près de Jingdezhen dans la province du Jiangxi au sud du Fleuve Bleu.

Cette argile réfractaire est un feldspath, issu de la décomposition du granit du Jiangxi. Elle est peu plastique et nécessite l’ajout d’un fondant : une pierre blanche fusible utilisée sous forme de « petite blocs blancs » Baidunze qui a donné la transcription : petuntse à base feldspath mais moins décomposée et qui permet d’abaisser la température de fusion et obtenir une pâte vitrifiée à 1300°-1350°. Le corps, brillant à la cassure, est d’un aspect analogue au verre. La surface de la porcelaine est extrêmement dure et ne se raie pas à l’acier. Elle est bien sûre imperméable et sonore. Elle diffère de la faïence occidentale qui est une terre cuite obtenue à basse température 980°. C’est une poterie au corps faiblement teinté et recouvert d’un émail blanc opaque l’oxyde de plomb.

En Chine et pendant trois siècles douze empereurs se succèderont à la tête de la brillante dynastie des Ming (Ming signifie brillant).

Dès le XVème siècle la capitale s’établira, et, pour longtemps à Pékin où toute l’administration est centralisée. C’est une ère de puissance, de rayonnement et de modernisation qui s’ouvre.

La fabrication de la céramique est centralisée, elle aussi : dès 1369 Jingdezhen en devient la métropole en même temps qu’un important marché commercial. La porcelaine Ming est à son apogée au XVIIème siècle et l’art des bleu et blanc connaît un succès international.

Ainsi, au XVIème siècle le Portugal découvre la Chine. Vasco de Gama, à près son premier voyage en Inde en 1499, offre au roi Don Manuel, en plus des épices si convoitée, les porcelaines et les soieries chinoises qu’il avait pu acquérir à Malabar. L’intérêt des portugais pour la Chine est dès lors manifeste, quelques années après, avec la mise en place de la Carreira da India (la route maritime des Indes), les épices, étoffes, pierres précieuses, porcelaine et toute sorte d’objets de luxe sont déchargé continuellement sur les rives du Tage à Lisbonne. 

A Jingdezhen, Jack Beng-Thi reproduira les mêmes gestes que les anciens potiers chinois depuis l’extraction et le traitement de la pierre à porcelaine jusqu’à la cuisson en passant par les façonnages multiples et la décoration variée elle aussi.

La sensualité de la glaise pétrie, de l’argile malaxée, de la terre façonnée, Jack Beng-Thi la faite sienne, elle lui sert de matrice, de creuset et structure sa recherche tant plastique que personnelle. C’est en sculptant la terre qu’il exprime colères, ses révoltes et cet intérêt pour l’Autre.

D’un second séjour en Chine, en 2006, qui le conduit du Nord de Pékin au Sud-ouest à la frontière tibétaine, il rapporte ses expériences au contact du peuple chinois, des amitiés, des connaissances nouvelles et des œuvres.

Sur la ligne des bambous est une installation où de grandes jarres en porcelaine s’alignent régulièrement, comme ponctuant les étapes d’une allée rectiligne. Elles sont gorgées de thé de Chine et de photographies en noir et blanc de scènes villageoises, de paysages découverts, de personnes rencontrées... autant d’imprévus, de détours, de chemins de traverses qu’il a été nécessaire de suivre avant de revenir à la ligne tracée du début : ses recherches sur la porcelaine. L’artiste partage avec le visiteur les pages de ce « carnet de voyage » en l’invitant à recueillir, à l’aide de baguettes en bambou, les fragments de cet itinéraire magique.

Mâ (cheval en chinois) est une carte géographique de la Chine posée au sol sur laquelle s’ébrouent de petits chevaux en grès chargés de confiseries. Mâ est tel un échiquier où le plaisir ludique se joint à la pensée raffinée de la civilisation chinoise plusieurs fois millénaire.

Full Moon in Hu Family est une réplique de l’imposante armée de 6 000 guerriers, grandeur nature, en terre cuite enterrés avec Qin Shi Huang Di, le premier empereur de Chine qui œuvra à l’unification et à la réforme de son immense territoire au IIIème siècle avant notre ère. Le guerrier de Jack Beng-Thi est lui bleu de Chine, son corps laisse apparaître un écran sur lequel des images vidéo défilent montrant la vie quotidienne des paysans chinois pendant que la lune ronde, pleine et lumineuse éclaire ces familles unies.

Enfin, Cent fleurs , est une sculpture du Grand Timonier. Personnage attendu dans une Chine exsangue au début du XXème siècle. Mao, le révolutionnaire, l’espoir du peuple a aussi mené la tragique campagne des Cent fleurs en 1957, réduisant au silence les intellectuels, les écrivains, les penseurs. Une toge de moine bouddhique, vêtement dont la simplicité est celle du mendiant surmonte cette effigie en porcelaine de Mao et rappelle la domination et l’oppression des peuples minoritaires en Chine comme le sont les tibétains. L’habit de moine plane au dessus de sa tête comme une menace que représente la pensée spirituelle. La Chine grande, curieuse, riche, mouvante peut aussi être terrifiante. Sur son corps ondule lentement l’image vidéo de carpes qui sont en Chine l’incarnation du courage qu’il faut déployer pour remonter les sources. 

LE MOUVEMENT

Le lotus bleu est une plante aquatique dont les racines puisent dans les eaux mouvantes des fleuves et s’élève fleurie au dessus de la surface de l’eau. Symbole bouddhique par excellence, il porte en lui les étapes vers la connaissance, l’élévation et l’épanouissement. C’est ce chemin initiatique qu’a emprunté Jack Beng-Thi pour se trouver, se retrouver dans le tourbillon des océans et les migrations de population.

Dans cette recherche des origines, une mère venue du Nord de l’Inde, des ancêtres paternels du Nord-Vietnam et du sud de la chine et, bien sûr, une culture française font dire à l’artiste qu’il s’est « exercé à un jeu éprouvant où la patience, l’observation, le discernement ont été les maîtres mots d’un spectacle grandiose où sa “ logique occidentale ” se recomposait à chaque pas ».

A l’image du lotus bleu ancrée dans la vase, Jack Beng-Thi plonge ses racines dans une terre baignée par le mouvement des migrations maritimes.

Comme dans un pèlerinage, il a suivit les itinéraires de ces navigateurs du XVIIème siècle qui donnèrent naissance à La Réunion. Jack Beng-Thi a ainsi rejoué cette formidable aventure humaine de presque quatre siècles d’échange et de rencontres. A l’instar de la carpe chinoise, il a courageusement remonté les courants puissants des sources originelles. Il revient dans cette terre de naissance, terre paradisiaque mais aussi terre de souffrance, terreau d’accomplissements de tous ordres, de réalisation de l’être où se mêlent le sel de la mer et la saveur sucrée de la canne.

Son œuvre tout entière parle des étapes de ce développement. Les fibres végétales et la terre cuite caractéristiques de son travail ont toujours révélé une quête identitaire au sein de ce puzzle humain que constitue la société réunionnaise dont il est issu. Alors que les sculptures du début faites de cette glaise parfois encore enfouie sous la terre commençaient à s’étirer vers la surface, déjà, les fils de nylon tendus annonçaient une poussée ascendante. Timidement puis de manière avérée, l’œuvre de Jack Beng-Thi chemine vers un mouvement enlevé et léger. Suspendues, aériennes, en élévation, ses recherches plastiques parviennent, aujourd’hui, à une maîtrise des forces contraires.

Territoires stellaires : 150 gardiens au pays des étoiles est une installation de 1999 révélatrice de ce cheminement où sont reliés le visible et l’invisible, l’intérieur et l’extérieur, l’obscurité et la lumière.

Caroline de Fondaumière

Jack and the Blue Lotus

The seventeenth century witnessed an incredible intellectual revolution and unprecedented cultural upheaval. This was the century when large civilisations set themselves in motion, in search of one another.

At that time, Reunion, a virgin tropical island in the south west of the Indian Ocean, took in populations arriving from both near and far: France, Africa, India and China, the various stopovers along the famous road to the Indies. A commercial route where vessels from the big European nations crossed paths in pursuit of the wonders of the Orient.

From this little paradise, as seafarers described it at the time, Jack Beng-Thi set sail, three centuries later, on a number of journeys that would take him around the whole planet, first to the West, then to the East. To France, Latin America, Africa, India and China. In some ways, he was setting out on a road of initiation that would take him along those long routes in the opposite direction to the one taken by his ancestors. Seeking his origins, a universal search for the land of origin.

And land or earth is precisely the material he mixes, twists, squashes, ill-treats, and then smoothens, models and polishes before firing and fixing it. Fired earth is the Ariadne’s thread that leads and guides him in each one of the stages of a quest that is at once personal, spiritual, intellectual and artistic.

Jack Beng-Thi’s art clings to the earth and feeds on the manifold civilisations that came together as a result of the mass movement of populations that begun in the seventeenth century.

THE SEA OF ORIGINS

That South Sea conch that Rembrandt drew and engraved in 1650 in Amsterdam (Rijksmuseum, Amsterdam) gave the artist an opportunity to excel in the play of light and shadow for which he was so rightly famed. But that shell from the faraway Indian Ocean is an oddity in the painter’s personal collection. It is a marmoreal cone, drawn in the foreground against an almost neutral background. The conch is black, and it is only the shading underscoring its silhouette that tells us that it is placed on a surface, showing its cavity, its spiral and its pattern of white triangles and rhomboids. Thus, Rembrandt draws our attention to that unusual object brought from a remote place, and magnifies the mystery surrounding it. This work is also an instance of the widespread euphoria that grew in seventeenth century Netherlands thanks to VOC (Vereenigde Oostindische Compagnie), a company founded in 1602 that would turn the country into the main European power in Asia.

At that time, the Dutch East India Company was a sound and well administered organisation, relying on private capital and excellent boats to carry out trade at high scale but also to launch bellicose attacks against the Portuguese.

The East Indiamen of the VOC were small albeit fast ships, which brought back little treasures from their dangerous journeys, a series of “whims”, of small natural or artificial objects, though all very precious, to the delight of collectors, who put them on display in their cabinets of wonders, a microcosm of sorts. That mysterious den packed with animals, corals, starfish and other curiosities, was a place for meditation, study and reflection about nature, the world, the new world.

Seventeenth century Dutch painters ennobled the genre of the still life, a two-dimensional replica of that cabinet of wonders that, like the superb Still Life with Chinese Bowl, Nautilus Cup and Other Objects by Willem Kalf, concentrates all the magic of the new worlds, the fascination for those marvellous items arriving from remote lands, like that nautilus from warm seas, enhanced by its gold-lacquered mount, the sumptuous Persian tapestry, the refined Venice crystal, and the blue and white porcelain from China, a rare curiosity and VOC’s main commercial article.

Weather conditions, military circumstances and the state of the sea made journeys long and dangerous. Nonetheless, the extraordinary energy, enthusiasm and courage of Dutch seamen made it possible for them to discover unknown routes and to establish human and commercial contacts. In trading companies’ frenzied race towards the Indies, nautical cartography, in which the Dutch excelled, was of paramount importance, and Dutch nautical charts were sold throughout the whole of Europe. Nearly one million adventurers, seamen, soldiers and traders set out from Amsterdam to Batavia (present-day Jakarta), the headquarters of VOC in Asia, on a journey that took more than eight months. The voyage, in which hope was mixed with interest, curiosity, hardship and joy, followed the coast of Africa until, after provisioning at the Cape of Good Hope, it split into three routes in the Indian Ocean: the Mozambique Channel, the Mascarene Islands, and the longest, after the discovery of the Saint Paul and Amsterdam islands, through the Sunda Strait, to set course from there towards China and Japan.

 

The cargo of those ships, often lost in the sea as a result of wrecks and piracy, bear witness to the intense exchange between East and West. The major finds of maritime archaeology include the Mauritius, shipwrecked opposite the coast of Gabon in 1609; the Witte Leeuw, sunk in a Portuguese attack in 1613, in the vicinity of Saint Helena; and the Banda, that foundered near Mauritius Island in 1615. On 14th December 1600, a fierce battle broke out in the Manila Bay between two European powers: the Mauritius of the Dutchman Olivier de Noort and the San Diego, the galleon of the Spaniard Antonio de Morga. In 1992, the items found in the remains of the San Diego, sunk near Manila, revealed the major activity of international trade between the Far East and the New World.

The Red Sea, for some time under Chinese influence, was the scene of productive trade between China, Japan and South East Asia. The archipelago of the Philippines, at the time under Spanish control for already one century, contributed to the development of trade. In those days, China was the destination of large shipments of silver from the vast mines of Potosi. Peruvian silver, mined in the silver mountain of Potosi, currently in Bolivia, fascinated Europeans and Chinese alike. Silver pesos coined in America circulated worldwide and fostered the development of a commercial network between Northern Europe, the Mediterranean, India and China. Located at an altitude of 4,000 metres, Potosi was a city with 100,000 inhabitants and elegant Spanish architecture. Its mansions proudly boasted luxury products from all over the world, including sumptuous silks and porcelains from China. For the greater safety of this trade, the silver was loaded in Acapulco, in Spanish galleons that travelled the ocean towards Manila. In the seventeenth century, Manila was a place where the traffic of silver from the Spanish mines in America converged with that of the silk and porcelain manufactured in China which were the most important items, often commanding prices twenty times higher than food products. In 1637, in Mexico, 14,000 people contributed to the prosperity of an industry specialising in Chinese silks. Meanwhile, in Jingdezhen (southern China), tens of thousands of workers were involved in the manufacturing of another elegant rarity: porcelain.3 Every year four galleys travelled the route from Manila and Acapulco, and the San Diego, sunk by the Dutch in 1600, was the ship in charge of transporting the precious and fragile “blue and white” fine and exceptional porcelains to decorate the wealthiest tables. Most likely, that Spanish galleon, currently on the sea floor opposite Manila, carried the same cargo as transported by another two Spanish ships, the Santiago and the San Juan, which the following year carried gold, cinnamon, 712 pieces of silk and 22,300 pieces of porcelain. The discovery of the San Diego provides physical testimony of that world in transformation, of its many exchanges and of the intense maritime activity between two extremes of the globe. For the first time in history, a huge economic network was established, a network in which porcelain was to play a major role.

 

When the battle was over, the victorious Mauritius of Olivier de Noort continued its course towards Europe, where the Dutch were the main suppliers of porcelain.

In those seas sailed by European vessels, the Dutch VOC settled for a time in the Mascarene Islands; but it was the Compagnie des Indes Françaises that would take definitive control of Reunion. The island, bathed by the Indian Ocean and located on maritime routes, was a meeting point of European, African and Asian peoples.

In 1996 Jack Beng-Thi concentrated this cross of populations in a piece titled Zhu zi, territoire des objets non identifiés [Zhu zi, Territory of Unidentified Objects], an installation suspended with cables from the wall of the Musée Léon Dierx in Saint-Denis. It is a rectangular compression of bamboo fibres that had been woven, tied and glued, with a number of materials inserted among them: fragments of ceramics, press cuttings, metal particles, pieces of fabric, colour pigments... On the ground, a space of an equivalent size, delimited by a wooden structure painted in white, seems to be ready to receive the exfoliated and compact ensemble, suspended in the air at 1.1 metres from the floor.

This installation by Jack Beng-Thi, placed outside and against the museum wall, is also a reaction against the colonial museum of the past, an instrument of cultural domination over a population whose way of thinking and history was so differing and removed from the European world and always denied.

Enclosed by something reminiscent of the fence from a European garden, the territory of the floor remits us to an idea developed by Simon Pugh4 in Garden, Nature, Language (1988). For Pugh, nature appropriated and controlled by man, that garden that has been cultivated and organised to create the illusion of a natural order, is directly related with the spirit of domination and control of peoples that involves the imposition of a language, a religion, a set of values. That territory represents Reunion, colonised and administered by France, ready to receive the “unidentified objects” suggested by the myriad of fragments of matter torn out and separated from their initial unity and introduced into the zhu zi, Chinese for bamboo.

That “conglomeration” of individuals from a diversity of origins, brought to the island for its economic exploitation; the people of Reunion, who evolved to create an intricate, intermeshed, interwoven, glued ensemble, is left suspended in the air. Nothing has yet been decided for it. It awaits a new territory for its own development.

A coffin or a cradle? The perimeter drawn by Beng-Thi on the floor is scattered with silvered bamboo canes. Bevel cut, they prefigure a violent metal penetration, a clash of cultures. With these organic materials, so precious to the artist, might Zhu zi, territoire des objets non identifiés be the territory of unidentified individuals? In Chinese, Reunion Island is called Liu min zhu dao, literally meaning “The island where foreign populations were brought.” Just like the Chinese do in their language of images, Jack Beng-Thi’s practice concentrates the idea, image and history of an island and of its singular peopling.

The artist chose bamboo from China. Its mythical symbolism associates it with pure vegetal resistance, flexibility and dynamism. It introduces a halted movement, one that has been suspended in space and time, thus opening up a perspective that allows us to imagine both the best and the worst, turning Zhu zi into a realm endowed with infinite possibilities.

THE MATRIX

With this consciousness of a family tree whose branches had been torn off, Jack Beng-Thi attempts to rebuild it.

He finds inspiration in Africa, a place where trees—scarce on the coast—are shrines. Following several trips to Senegal, in 2003 he created an installation-performance, Libations historimagiques pour L.S. Senghor [History-Magical Libations for L.S. Senghor], around a baobab, isolated and far away from the city of Joal-Fadiouth and which the artist chose intuitively: the baobab is a tree worshipped by local people. For them it is a holy place that could have been Senghor’s last home, his family tree. Jack Beng-Thi paid him a tribute under this tree with a performance and a ceremony in which musicians, actors and poets, and also wrestlers took part. The photographs of those black men with shaved heads, covered with reddish earth, and fighting with all the elegance of dance, bring to mind the fired clay sculptures the artist has been making for many years.

In France, Jack Beng-Thi studied art at the École des Beaux-Arts of Toulouse, and later in Paris, but he also acquired a sound literary baggage along the way.

In Latin America, where he has been travelling for years, he discovered the art of the many large civilisations prior to the arrival of Christopher Columbus. Evidently, carved stone, but also ceramics.

South America had also been colonised, and after that, the governments succeeded one another, rebellion after rebellion. In Chile, where he travelled in search of another globetrotter, the poet Pablo Neruda, Jack Beng-Thi ended his Latin American trip after the military coup of 1973.

And then there was China. Finally, a new departure, a new land to explore. As part of an artist’s residence, he entered into contact with the mythical Middle Kingdom in Jingdezhen for the first time and in the most natural way possible.

Jingdezhen, the capital of porcelain, is a city renowned since the 10th century for its white clay. The city became famous for its fine refined white porcelain. The blue, cobalt oxide, is mined in the Kashan mountains in Central Asia, and from the 7th century was transported to China through the Silk Road. Porcelain was a by- product of the improvement in the construction of kilns and of the discovery of a special earth that made it possible to obtain an intensely white paste: kaolin, an earth of volcanic origin extracted in a mountain, Gaolinshan, near Jingdezhen, in the province of Jiangxi, south of the Yangtze River.

That refractory clay is a feldspar coming from the decomposition of the granite from Jiangxi. It lacks in plasticity and requires the addition of a flux: a meltable white stone used in the form of “white bits” baidunze, therein the transcription petuntse, made of a less decomposed feldspar, which allows for a reduction in the firing temperature and to obtain a vitrified paste at 1300° to 1350°. The surface, with a glossy appearance, looks very like glass. The porcelain is very hard and steel cannot scratch it. It is impermeable and sounds. It is very different from Western earthenware, an earth fired at low temperature (980°). It is a ceramic with a lightly dyed body, covered with an opaque white enamel of lead oxide.

In China, for three centuries, twelve emperors succeeded each other at the head of the bright Ming dynasty (Ming means bright).

In the 15th century, the capital was definitively established in Beijing, where the whole administration was centralised and a period of power, expansion and modernisation began.

The manufacturing of ceramic was also centralised. In 1369, Jingdezhen became its capital and an important trading post. Ming porcelain reached its peak in the 17th century, and the art of the “blue and white” was internationally acclaimed.

In the 16th century, Portugal discovered China. After his first journey to India in 1499, Vasco de Gama presented King Manuel, apart from the customary spices, with Chinese porcelains and silks he had acquired in Malabar. The Portuguese interest for China was patent several years after that, with the opening of the Carreira da India (road to the Indies). Spices, fabrics, precious stones, porcelain, and all sorts of luxury items were continuously offloaded in Lisbon, on the banks of the Tagus River.

In Jingdezhen, Jack Beng-Thi repeated the gestures of the old Chinese potters, from the extraction and treatment of the porcelain stone to its firing, and including the various methods and the equally varied ornamentation.

Jack Beng-Thi embraced the sensuousness of the worked, kneaded clay. He uses it as a matrix, as a crucible, and it orients his visual as well as personal quest. When he sculpts the earth he expresses his rage, his rebelliousness and his interest for the Other.

From another journey through China, undertaken in 2006, that took him from the north of Beijing to the south-west, on the Tibetan border, he would come away with his experiences with the Chinese people: friendships, new knowledge and a number of works. Sur la ligne des bambous [On the Bamboo Line] is an installation in which large porcelain vases are aligned as if to mark a rectilinear avenue. They are filled with Chinese tea and with black and white photographs depicting rural scenes, discovered landscapes, familiar faces... they represent the unforeseen events, the detours, the shortcuts he had to take before returning to the line drawn from the beginning: his investigations into porcelain. The artist shares with the visitors the pages of this “travel log” and invites them to pick the fragments of this magical itinerary with bamboo sticks.

Mâ (Chinese for horse) is a geographic map of China arranged on the floor, with little snorting ceramic horses carrying cargoes of sweets. Mâ is like a checkerboard where the pleasure of playing is added to the refined thought of a Chinese civilisation millenarian many times over.

Full Moon in Hu Family is a replica of the awesome army of the 6,000 life-sized clay soldiers buried with Qin Shi Huang Di, the first Chinese emperor to undertake the unification and reformation of his huge possessions in the 3rd century BC. Jack Beng-Thi’s warrior is Chinese blue, and his body contains a screen displaying images of the daily lives of Chinese peasants while a round, full, and bright moon throws its light over those united families.

Finally, Cent fleurs [One Hundred Flowers] is a sculpture of the Great Helmsman. A character that an exhausted China in the early years of the 20th century awaited with anticipation: Mao, the revolutionary, the hope of the people, also launched that tragic Hundred Flowers campaign in 1957, reducing intellectuals, writers, thinkers to silence. Over the porcelain effigy of Mao, we see the robe of a Buddhist monk, an attire with the simplicity of a beggar and reminiscent of the domination and oppression of China’s minority peoples, including Tibetans. The monk’s habit hovers over his head like a threat representing spiritual thought. The large, curious, rich, dynamic China may also be terrifying. Washing over its body like waves is the video image of carps, which, in China, embody the courage required to travel against the stream.

MOVEMENT

The blue lotus is an aquatic plant with roots growing in the currents of rivers and that rises to flower on the surface. A Buddhist symbol par excellence, it summarises the different phases towards knowledge, elevation and expansion. It is the path of initiation undertaken by Jack Beng-Thi to find himself, to reencounter himself, in the middle of the turmoil of the oceans and migrations.

In this search for his origins, a mother coming from northern India, some ancestors on his father’s side from Vietnam and the south of China and, naturally, a French culture, make the artist say that “he has devoted himself to a tough game where patience, observation and discernment have been key words in a grandiose spectacle in which his ‘Western logic’ was being recomposed at each step.” 

Just like that blue lotus with roots in the mud, Jack Beng-Thi put down roots in a land bathed by the movement of maritime migrations.

As if on a pilgrimage, he followed the routes of the 17th century seafarers that were at the origin of Reunion. Jack Beng-Thi has re- represented that formidable human adventure of nearly four centuries of exchanges and encounters. Like the Chinese carp, he has bravely swam against the powerful currents of the original sources. He goes back to that land of birth, a paradisiacal land but also a territory of suffering, a soil for all sorts of finishings, for the fulfilment of the being and where sea salt and the sugary taste of cane are mixed together.

All his work talks of the phases in that development. The vegetal fibres and fired clay so characteristic of his work have always revealed a quest for identity in the midst of that human jigsaw puzzle that is the society of Reunion he comes from. When his early sculptures, made with that clay that is still sometimes hidden underground, were beginning to surface, the tensed nylon threads were already heralding an ascending impulse. First shyly, and later assertively, Jack Beng-Thi’s work began to move fluently and lightly. Suspended, aerial, in elevation, his visual quests have now acquired the control of opposite forces.

Territoires stellaires: 150 gardiens au pays des étoiles [Stellar Territories: 150 Guards in the Country of the Stars] is an installation from 1999 highly revealing of a work uniting the visible and the invisible, the interior and the exterior, darkness and light.

Caroline de Fondaumière

Full moon in HU family

Full moon in HU family, 2007. 2 x 0,80 x 0,60 m. Terre cuite colorée, image vidéo, acier, tissus, laiton, fil coloré et papier. Coloured terracotta, video images, steel, fabric, brass, coloured threads and paper. COLL. Région Réunion. PHOTO Eric Lafargue.

Simatai
Simatai
Simatai

Simataï, 2009. Dimensions variables. Variable dimensions. Photo n/b sur bâche, grès, faïence et nourriture. B/W photograph on canvas, gres, tiles and food. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO de gauche. Left PHOTO Eric Lafargue. PHOTO de droite. Right PHOTO Jack Beng-Thi.

Sur la ligne des bambous
Sur la ligne des bambous

Sur la ligne des bambous, 2008. 400 x 120 x 70 cm. Installation. Vases en porcelaine, thé, grès, bois et photos n/b plastifiées. Porcelain vases, tea, gres, wood and b/w plastified photographies. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO du haut. Top PHOTO Eric Lafargue. PHOTO du bas. Bottom PHOTO Jack Beng-Thi.

Meïli
Meïli

Meïli, 2009. 220 x 65 x 40 cm. Installation. Bois peint, drapeaux de prière, vidéo et clochette. Painted wood, prayer flags, video and bells. COLL. Jack Beng- Thi. PHOTO haut de page. Top PHOTO Eric Lafargue. PHOTO bas de page. Bottom PHOTO Jinjie.

Cent fleurs

Cent fleurs, 2009. Dimensions variables. Variable dimensions. Installation Instalación Installation. Porcelaine, image vidéo, bure de moine et acier. Porcelain, video images, monk’s habit and steel. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Eric Lafargue

L'homme, le cheval et le poisson rouge

Jack Beng-Thi installe sa horde dans les lieux de ses passages. Je crois qu’il a commencé à La Réunion. Dans la fosse à vidange à Jeumon, l’armée de la nécropole du X’ian avançait. Une autre fois, elle ira à Cuba, en France, reviendra sur un dock du Port. Elle est aujourd’hui un soldat solitaire, métonymie de la multitude, figée sur un chariot archaïque.

Jack Beng-Thi fait partie de l’humanité passante. Celle qui échappe à la monotonie du lieu.

Tout comme l’homme du passé put fabriquer un dieu unique et transportable, Jack Beng-Thi et ses semblables, de nos jours, amènent avec eux, toujours ailleurs, une troupe déracinée.

Leur domicile n’est qu’à peine sur l’horizon de la terre. Ils demeurent plutôt sur la verticale infinie de l’imagination, du nadir au zénith à la fois. Le présent procède de cette mémoire acharnée.

« Seul le chasseur, parce qu’il imite la vigilance permanente des animaux sauvages, est capable de tout percevoir. »

L’homme est prédateur d’images. Il rapporte de ses courses attentives des instants, des objets, des êtres morts. Or, qu’elle les réclame ou les dirige vers l’objet, serait-il immatériel, souvent l’image méduse les regards : voyeurisme du spectateur, exhibitionnisme de l’artiste, battage publicitaire, et l’infecte propagande – Propaganda Fide, c’est-à-dire, enfoncer dans la tête des gens une pensée unique.

Or, Jack Beng-Thi a le privilège de savoir que le présent n’est pas construit sur des ruines perdues à jamais, et aussi, que l’identité ne revêt pas d’uniforme. Celle-ci, d’une part, est paradoxale altérité du voisin, de l’ancêtre. Si elle est fondée sur la tradition, Beng-Thi se demande ce qui rend légitime cette dernière, à qui elle profite, quels intérêts elle justifie, et comment échapper aux nécromanciens.

Jack Beng-Thi n’est pas ordonnateur appointé de rites funéraires, il travaille à l’épiphanie du vif présent. À côté des lieux communs, réunions, assises, institutions, à l’imitation de Descartes, et différemment, il sait se procurer « un repos assuré dans une paisible solitude »; il trouve avec René Leys, héros éponyme du roman de Victor Ségalen : « ...une atmosphère recueillie par excès de couleurs, d’odeurs et de bruits qui ramène et dispose à la méditation personnelle. Lui et moi, sommes bien seuls ici. » L’artiste se veut dans un rapport avec l’autre sans qui il n’est rien. Il se construit face au monde qui se présente : ici est à tous. Alors ce seront les gestes, les signes, « couleurs, ... odeurs, ... bruits » d’où proviendront les nouveaux mondes en place des clichés falsifiés.

Les œuvres de Jack Beng-Thi réclament le regard du spectateur, ni pour qu’on les applaudisse, ni pour l’obéissance. Elles sont des appareils par quoi l’on regarde. Ainsi les solitaires, chacun de nous, « Lui et moi sommes bien seuls ici », se rejoignent-ils dans leur attention pour le même objet. 

Quand il y a des années, je suis allé visiter son L’œil au Port, je suis monté sur le tertre où il est installé. Alors je suis devenu l’œil. J’ai vu l’Océan Indien, les hauts, les ravines, les montagnes de conteneurs du commerce inégal (!) par lequel l’île subsiste (voyons Made in China installé rue Gounod) et se cultive (regardez les Cent fleurs du Président : pourquoi ces personnes dévouées, élues pour le confort de nos routes, de nos écoles, du tout-à-l’égout, du ramassage des poubelles imaginent-elles nous imposer leurs rêveries ?), les citernes des embouteillages de tous les jours (poissons rouges dans un bocal). Il y a peu j’ai vu « l’œil » crevé, aveugle.

« Toute connaissance est orientation, toute description est prescription », Alain Badiou, Théorie de la contradiction, à propos de la formule de Mao Tsé-Toung : « On a raison de se révolter contre les réactionnaires. »

Je me rappelle de la jeune femme de Saint-Benoît qui remercie ses ancêtres, « intouchables » millénaires, c’est qu’ils ont choisi un jour de s’engager pour aller des Indes à La Réunion; cette autre, sous le manguier dans la cour à La Possession, qui dit profiter du supplice de ses aïeux esclaves; cet homme en Provence qui raconte comment il naquit des conséquences de la défaite française en 1940...

Les hommes se déplacent, de toute façon, ils sont déplacés. Chacun va toujours accompagné par la troupe profonde, serfs, esclaves, prolétaires. Pourtant, il suffit que ses enfants naissent ailleurs plutôt qu’ici pour que le monde se nomme autrement. Combien de fois ma lignée a-t-elle changé de langue « maternelle », de cela qui l’a agrippée dans un lieu fugace ?

Ce que décrit Jack Beng-Thi, c’est la vie qui se révolte contre la pesanteur de son ancienneté. De son voyage en Chine, il pourrait dire comme Roland Barthes, Carnets du voyage en Chine : « Donc, ce qui est à écrire, ce n’est pas Alors, la Chine ? mais Alors la France ? » Ou mieux : Alors, chacun de nous.

Jack Beng-Thi paraît libre du passé et de l’avenir. Il « trace la structure mobile d’un parcours de la fuite et de l’allant », contre le jeu illusoire de l’origine, il veut fabriquer incessamment un présent avec autrui, ici et ailleurs, l’Histoire comme métaphore, les structures d’avant l’Histoire comme formes : ainsi les chevaux – Mâ – parcourent-ils la Chine, la terre quadrillée ; selon quelle fantaisie, quelle nécessité, quelles rencontres dans le monde présent ?

Edward Roux

People, horses and goldfish

Jack Beng-Thi sets up his horde in every place he goes to. I think he started it off in Reunion Island. The army coming from X’ian’s necropolis was placed into the waste oil pit in Jeumon (Reunion Island). At some other time, it will go to Cuba and will come back to a warehouse in Le Port. Now it is just a solitary soldier—a metonymy of multitude—standing still on an archaic cart.

Jack Beng-Thi is part of the moving humanity, the very one defying geographic monotony.

Just like the men of the past could conceive a single god who can be easily transported, Jack Beng-Thi and his fellow human beings always carry away with them their own uprooted troops.

Their places of residence are hardly located on the terrestrial horizon; they actually reside on the boundless vertical of imagination, from the nadir to the zenith. The present is only the result of this unremitting memory.

“Hunters only are capable of perceiving everything, since they know how to develop the constant watchfulness of wild animals.”

People are picture-hungry. From their thoughtful trips, they generally bring back frozen instants, objects, dead things. Now, some pictures—whether they guide the viewers or draw their attention towards the objects, as immaterial as they may be—can be disturbing to them, as there may be voyeurism from the spectator, exhibitionism from the artist, hype and revolting propaganda, like Propaganda Fide consisting in thrusting a single thought into people’s minds.

And yet, Jack Beng-Thi is in a position to know that the present has not been built on long-lost ruins and that identity has no uniform. On the one hand, identity is the paradoxical acceptance of others—neighbours or ancestors—, on the other hand, Jack Beng-Thi wonders what possibly could justify tradition, if identity is based on it, and who benefits from tradition, which interests it defends and how to get away from necromancers.

Jack Beng-Thi’s role is not about organizing funeral rites, he works towards the emergence of a lively present. Besides common places, meetings, cultural exchanges, institutions, just like Descartes, and differently, if he manages to “relax in a peaceful solitude”, this is because he can perceive like René Leys—the eponymous hero of Victor Segalen’s novel—“... an atmosphere obtained by a multitude of colours, scents and sounds and leading inevitably to individual meditation. He and I are all alone here”. Jack Beng-Thi is meant to be in connection with others, without whom he would be nothing. He is evolving at the hands of the world which appears to him as “a place where everybody belongs”. Then the new worlds in place of the distorted stereotypes will arise from movements, signs, “colours, ... scents, ... sounds”. 

Jack Beng-Thi’s works draw the viewers’ attentions, but they were not made with the intention of being praised or honoured. They are only instruments used for observation. Thus, we all solitary people—“He and I are all alone here”—focus all together on the same object.

A few years ago, when I went to Le Port (Reunion Island) to see his work called L’œil [The Eye], I got onto the mound upon which it was placed. Then, I became the eye. I saw the Indian Ocean, the highland, gullies, ships, piles of containers used for unequal trade (!) by which the island’s inhabitants subsist (cf. Made in China installed in Rue Gounod) and improve their knowledge (cf. Chairman Mao’s Cent fleurs [Hundred Flowers]: why do those committed people—elected to take care of our roads, schools, sewerage system or garbage collection—intend to impose their thoughts on us?), and I saw the daily oil drums (goldfish into the bowl). Recently, I have seen “the eye” again: it was punctured and blind.

“Every knowledge is orientation, every description is prescription», according to Alain Badiou from his Théorie de la contradiction (in reference to Mao Zedong’s formula: “It is right to rebel against the reactionaries”).

I remember the young woman in Saint-Benoît thanking her ancestors—regarded as “untouchables” (outcastes) for thousands of years—because they had once decided to leave the Indies to become indentured servants in Reunion Island; I also recall that other person sitting beneath a mango tree in the town of La Possession who claimed to be taking advantage of her slave ancestors’ suffering ; and lastly that man in the Provence region telling how he was born from the consequences of the French Defeat of 1940...

People move; they are displaced, anyway. Everyone always travels together with their own troops: serfs, slaves, proletarians... And yet, their children only need to be born elsewhere rather than here and they are guaranteed to be called differently. How many times did my filiation change its “mother” tongue, and thereof who grabbed it in a temporary place?

What Jack Beng-Thi depicts is life revolting against its burdensome antiquity. About his trip to China, he could formulate like Roland Barthes (cf. Carnets du Voyage en Chine): “So, what should be written is not What about China? but What about France?”, or even better: “What about each of us?”

Jack Beng-Thi seems to be freed from the past and the future. He “shows the moving structure of a journey full of escape and enthusiasm”. Faced with the concept of illusory place of origin, his aim is to “build” a present with others without delay, here and elsewhere, by using History as a metaphor and the archetypal places as figures: thus, the horses Mâ are running through China, the land divided into squares. Which imagination, which necessity, which exchanges in today’s world does he work with?

Edward Roux

MA
MA

MA, 2009. 2 x 2 x 1 m. Installation. Installation. Terre cuite, dessin et bois. Terracotta, drawing and wood. Impression couleur sur bâche et nourriture. Colour impression on canvas and food. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Eric Lafargue.

Masami

Enracinés haut très haut,

des mouvements rapides

voyagent en rayon de nuages

Le sang humain descend jusqu’à...

dans le bourgeonnement de l’esthétique

Le vide arrive au plein


Le pouls enraciné profond

 

Très profond

Japon, 2010

Masami

Rooted high very high

continuous rapid movements

travel in a ray of clouds

Human blood coming down to...

in the bloom of aesthetics

Emptiness reaches fullness

 

The pulse rooted in deep

 

Very deep

Japan, 2010

Canton mélodie

Canton mélodie, 2009. 213 x 60 x 36 cm. Sculpture. Grès de Chine, cuivre, bois, porcelaine et plexi. China gres, copper, wood, porcelain and plexi. COLL. Région Réunion. PHOTO Eric Lafargue.

Mélodie pour nuages et ciel

Territoire de Yunnan: Mélodie pour nuages et ciel, 2006. 320 x 320 x 360 m. Installation. Terre cuite, bois, porcelaine, tissu, béton, photos, clochettes et fil de couleur. Terracotta, wood, porcelain, fabric, concrete, photograph, bells and coloured threads. 320 x 320 x 360 m. Œuvre réalisée au Village International de Huonguyang (Jiangxi).

Shangri-La

Shangri-La, 2009. 120 x 100 x 6 cm. Photo N/B, digigraphie en coffret noir, B/W photograph, digigraphy on paper in black box. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Jack Beng-Thi.

Li

Li, 2009. 120 x 100 x 6 cm. Photo N/B, digigraphie en coffret noir. B/W photograph, digigraphy on paper in black box. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Jack Beng-Thi.

Stone forest

Stone forest, 2009. 120 x 100 x 6 cm. Photo N/B digigraphie en coffret noir. B/W photograph, digigraphy on paper in black box. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Jack Beng-Thi.

bottom of page