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Premier voyage Américain

L’ange lointain pleure sur son prie – l’île

je parle à ta mémoire elle a retrouvé le Bras de Caverne...

le passé continuait d’appeler nos violences les armes que forgeaient les entrailles du feu

 

BORIS GAMALEYA

Le feu vêtu de deuil jaillit par tous ses pores
La poussière de sperme et de sang voile sa face tatouée de lave

 

BENJAMIN PÉRET, Air mexicain

« Je poursuis mon déplacement vers le sud, gagné par la fièvre de l’Art précolombien. Visite les sites de l’art maya : Chichen Itza, Palenque, Uxmal. Je conserve jusqu’aujourd’hui les émotions, les tremblements qui m’ont assailli lors de ma rencontre avec les vestiges des tombes mayas, avec les pyramides et leurs sculptures, avec les expressions aztèques, toltèques, zapotèques, avec les pyramides de la lune et du soleil à Teotihuacán, avec le grand serpent Quetzatcoalt, le jaguar de jade rouge, le jeu de boleto, la forêt dense du Chiapas ». Ce sont des mots écrits récemment en Espagne par Jack Beng-Thi. Ils évoquent le voyage réalisé en 1972 ainsi que le séjour à Mexico et dans des lieux centraux de la culture précolombienne. La fascination que suscite le Mexique chez l’artiste est comparable à celle ressentie par tant d’écrivains et artistes en provenance de France et d’Europe. Parmi ceux venus de France lors des décennies antérieures, on trouve de nombreux hétérodoxes et critiques envers toute forme de chauvinisme, et également enclins à se sentir fascinés : Soupault, Benjamin Péret, Alice Rahon, Artaud... Certains iront jusqu’à apprendre la rumeur primitive des multiples cultures mexicaines et donneront un nouveau sens à leurs trajectoires créatrices. On y trouve Wolfgang Paalen, sa revue Dyn et ses recherches sur la culture amérindienne, dans cette voie qui aura tant d’influence sur l’expressionniste abstrait Robert Motherwell. On y trouve aussi, attiré par les airs mexicains, Henri Michaux, qui développera également son œuvre graphique et son écriture en observant le monde asiatique.

Jack Beng-Thi arrive sur ce territoire alors que les artistes mexicains continuent, eux, de se sentir attirés par Paris en tant qu’espace de la création contemporaine, bien qu’ils aient compris depuis les décennies antérieures que leurs propres racines culturelles donnent un souffle nouveau et une nouvelle vitalité. Une figure zapotèque est déjà très connue en Europe ou en Amérique : Rufino Tamayo ; d’autres ont à peine commencé leur œuvre après avoir vécu à Paris un certain temps. C’est l’exemple de Francisco Toledo. Aujourd’hui, cet autre artiste zapotèque s’est retiré à Oaxaca, peut-être jaloux de sa propre individualité, comme Boris Gamaleya dans la Plaine des Palmistes. Jack arrive au Mexique en 1972.

Mais les racines familiales de Jack Beng-Thi sont en Inde et au Vietnam, dans des circonstances liées à la constitution multiethnique et culturelle de La Réunion. Lorsqu’il était enfant, il a écouté la musique indienne, l’expression créole, le transit constant de personnes d’origine diverse par Le Port, et il sait les humiliations auxquelles ont été soumis les esclaves ou la main d’œuvre emmenée aux plantations depuis la Chine ou Madagascar ; il connaît de multiples accents avec des récits mythiques et des traditions différentes ; il a également appris que le monde des morts peut participer au rite de la vie, lors de la fête la plus intime ou d’une rencontre avec des amis lointains venus au cimetière du Port. Et il connaît les difficultés d’un artiste dans une île si éloignée des centres culturels européens et américains. À peine quelques mois après les révoltes de mai 1968, il décide de s’en aller. Il arrive à Toulouse en 1969 alors que l’air du soulèvement de tant de jeunes du même âge se respire encore. « L’École des Beaux-Arts de Toulouse était un espace sensible, occupé par des étudiants de gauche qui luttaient pour un changement de l’enseignement artistique. Les plâtres des figures classiques grecques volaient dans les rues. L’entrée de l’école était jonchée de débris de sculptures. Je fréquentais assidûment la bibliothèque de l’école ». Jack travaille et donne des cours d’alphabétisation aux étrangers arrivés du Maghreb et des pays de l’Est ; il le fait au siège de la Confédération générale du travail de Toulouse. À ses cours assistent également des mexicains, des argentins, des péruviens, des boliviens...

Jack Beng-Thi sent l’attraction d’une langue et d’une culture en espagnol, qui n’est plus européenne et se trouve loin de la France. Il commence à lire les écrivains qui parlent de cette réalité différente et qui proviennent de l’autre continent. Il perçoit les visions mexicaines si caractéristiques des romans de Carlos Fuentes ; il connaît le monde des croyances et des mites populaires de Gabriel García Márquez, l’écrivain colombien qui triomphait à ce moment dans le monde entier avec Cien años de soledad, le roman qui lui vaudrait le prix Nobel dix ans plus tard. Il perfectionne alors son espagnol. Et il décide à nouveau de partir. 

 

Jack ne va pas directement au Mexique. Il passe par New York. C’est l’année 1972. Premiers pas sur le continent aux antipodes de son île. Il visite New York, ses rues, perçoit à nouveau le mélange de cultures, mais maintenant dans des quartiers multiraciaux. Et il visite les musées, là où se trouvent déjà les artistes centraux de l’art contemporain d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, de l’avant-garde européenne aux Pollock, Gorky, Motherwell, Tobey, Gottlieb... Les rues sont remplies d’un mouvement vertigineux et de signes lumineux. Seuls les quartiers noirs semblent conserver le souvenir de leurs ancêtres. L’espace multiracial qu’il avait connu depuis qu’il était enfant, le mélange de cultures qu’il a vécu comme dans un chapitre insignifiant pour la société toulousaine, devient ici gigantesque. Mais l’artiste perçoit également que le souffle spirituel est loin de son pays d’origine, loin du Port et de La Réunion, loin du passé « marron », de ce murmure héroïque et douloureux que l’on écoute dans les romans de Jean-François Samlong. Quoi qu’il en soit, il préfère la voix multiple, multiethnique, qu’il a écoutée parmi les jeunes latino-américains. Son expérience à New York le frappe, mais, comme il le dit lui-même, « j’ai l’impression d’être sur une autre planète, une impression visuelle forte qui me déstabilise, c’est l’architecture froide d’une société automatisée sans profondeur d’âme ». Beng- Thi décide alors de se rendre dans le Sud pour écouter d’autres voix et sentir les séductions d’autres images. Il ne s’agit pas seulement d’art, il s’agit de la curiosité de connaître d’autres façons d’être dans le monde.

Il abandonne New York en direction du Texas, vers la frontière mexicaine. Il voyage en bus ou en auto-stop. Il voit défiler les États de Pennsylvanie, New Jersey, Maryland, Virginie, Caroline, Géorgie, Alabama, Mississipi, Louisiane. Il découvre un vaste territoire qui stupéfie tout continental européen, et encore plus un insulaire. Il voit comment les États nord-américains sont marqués par la présence dominante de la population noire ou métisse ; il prend conscience, mais se rappelle aussi, des relations interethniques et historiques conflictuelles marquées par la colonisation ; il comprend la lutte du peuple noir pour son émancipation, la lutte contre le système de l’« apartheid ». Il évoque les racines africaines de la population de son île, qui se faisaient toujours plus présentes lorsqu’il montait et s’enfonçait dans le Cirque de Mafate. Jack Beng-Thi arrive à Laredo, la ville frontalière. Il prend un bus qui le conduit pendant toute la nuit vers la capitale mexicaine : San Luis Potosí, Guanajuato, Puebla et, enfin, Mexico. La ville est également immense, avec une population supérieure à celle de New York, bien qu’il apprécie immédiatement la rumeur d’expressions ancestrales différenciées, d’aztèques, de mayas, de toltèques. C’est sa première rencontre avec la dense mémoire de la « ville des lacs ». Il y rencontre, cependant, les Mendoza, la famille d’un de ses amis mexicains de Toulouse. L’entrée dans le pays est ainsi différente. Les mexicains présument non seulement d’une culture de racines et de cultures ayant une relation particulière avec le passé et, y compris, avec les morts (comme l’illustre tant de tableaux de Rufino Tamayo, les fresques ou les romans comme Bajo el volcán de Malcolm Lowry), mais montrent aussi une attitude accueillante réellement extraordinaire. 

 

Beng-Thi visite la ville coloniale, le zócalo, le centre de la ville si riche en témoignages de la présence espagnole ; il découvre aussi les racines de tant de peuples mexicains qui circulent dans ses rues, qui parlent dans une des nombreuses langues indigènes ou qui s’expriment en espagnol. Il visite ensuite les différents quartiers, dont certains ont la population des capitales européennes. Il voit les fresques de Rivera et Orozco, visite la maison bleue de Frida Kahlo à Coyoacán. Dans les églises, il remarque la main de l’artisan indien qui n’est pas celle d’un européen et qui rend tout décoratif, lumineux, musical, avec des références aux divinités précolombiennes malgré son catholicisme apparent. Il travaille pendant un certain temps dans des excavations archéologiques pour le Musée national d’anthropologie, cet impressionnant musée situé près de la Calzada de Gandhi, dans la forêt de Chapultepec, et qui venait juste d’être inauguré quelques années avant l’arrivée de l’artiste réunionnais.

Il prend bientôt connaissance du séjour du penseur autrichien Ivan Illich à Cuernavaca. Critique envers la société industrielle et ses valeurs, défenseur d’un autre modèle d’enseignement, Illic fonde le Centre interculturel de documentation par lequel passent de grandes figures de la philosophie, de l’économie, de la sociologie... Jack assiste aux cours ; il n’a pas d’argent, mais travaille dans la cuisine du centre. Après avoir lu Libérer l’avenir (Celebration of Awareness) et Une société sans école (Deschooling Society) et avoir pris connaissance d’un processus de mondialisation qui commençait à être vu comme un danger, Beng-Thi acquiert une conscience écologique et un engagement envers la critique de la société de consommation qu’il n’abandonnera pas. 

 

Parallèlement, les images vues au Musée national d’anthropologie, dans les excavations, dans l’ancienne architecture mexicaine, tout le situe face à un passé extraordinaire plein d’images et de mystérieuses expériences. Maintenant, au Musée national, il a pu voir les images de Tláloc, le dieu de la pluie, ou de l’impressionnant Quetzalcóatl, le serpent à plumes si présent dans l’art et la poésie contemporains ; et les ustensiles, les masques, les sculptures, les idoles et les statuettes mayas, qui sont des exemples de la plus grande collection au monde d’art préhispanique de Mésoamérique, essentiellement des cultures Maya, Aztèque, Olmèque, Teotihuacane, Toltèque, Zapotèque et Mixtèque, entre autres peuples de l’ancien Mexique. « La notion de civilisation se dessine et imprègne ma mémoire », écrit Beng-Thi.

Et l’artiste continue son voyage. Il a visité les pyramides de Teotihuacán, il a pensé comment cette culture avait imaginé Quetzalcóatl en train de se déplacer sur la grande avenue poussiéreuse, le serpent emplumé simulant le peuple lui-même dans la procession et le cortège. Jack a monté les hautes marches sous un soleil de midi et, du haut des pyramides, a senti les dimensions d’ancêtres qui soudainement avaient de nouveau un sens. Et dans son désir de percevoir une telle existence, presqu’impossible à comprendre pour un européen en raison de ses dimensions et de sa profondeur, il décide de voyager à nouveau. Il se rend ainsi à la péninsule de Yucatán, où se trouve la ville de Chichen Itza, riche de toute la splendeur de la culture précolombienne, le château, le temple des guerriers, le Tsompantlí, le temple des jaguars, l’impressionnante conception architectonique qui rend compte des amples savoirs cosmologiques. Jack Beng-Thi assiste touché. Mais il voyagera encore vers le Sud, vers le Pérou, vers le sanctuaire inca de Machu-Pichu.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’expérience mexicaine et américaine ? Sans aucun doute, la rencontre avec un univers de signes ancestraux qui était à l’origine de ses inquiétudes et qui a marqué depuis toujours son travail sculptural. Les mexicains, lorsque Jack Beng-Thi leur rend visite pour la première fois, font des recherches sur leurs racines et établissent parfois des liens avec les cultures asiatiques. Jack a découvert un certain air de famille entre les sculptures qu’il avait devant les yeux et les souvenirs des temples chinois ou hindouistes qu’il a pu voir à La Réunion. Mais il a vu beaucoup plus, il a senti une intense et puissante rumeur ancestrale d’artisans, de dieux et d’hommes, qui se gravera dans sa mémoire. Beaucoup de temps après avoir voyagé en Afrique, en Europe ou en Asie, lors de l’exposition qu’il réalise après s’être enfoncé dans les villages du Tibet – à l’exposition que j’ai pu voir à Saint-Denis de La Réunion en 2009 – surgissent des œuvres de Beng-Thi qui embrassent un secret abyssal. Je me suis rappelé, je me rappelle maintenant, les signes de résistance face à l’avancée de l’uniformité et les voix libres qui ouvrent ce texte. Jack ne parle-t-il pas la même langue poétique que Péret et Gamaleya ? N’appartient-t-il pas à une mémoire et à des ancêtres qui ne sont pas loin de la poésie ? Comme ceux-là, ici ou là-bas, Beng-Thi écoute les germinations de la vie, les énigmes de la nature.

Nilo Palenzuela

First american journey

L’ange lointain pleure sur son prie – l’île je parle à ta mémoire
elle a retrouvé le Bras de Caverne...

le passé continuait d’appeler nos violences les armes que forgeaient les entrailles du feu

 

BORIS GAMALEYA

 

Le feu vêtu de deuil jaillit par tous ses pores
La poussière de sperme et de sang voile sa face tatouée de lave

 

BENJAMIN PÉRET, Air mexicain

 

 

“I continue my southbound journey, overtaken by a fever towards pre-Columbian Art. I visit the Maya art sites: Chichen Itza, Palenque, Uxmal. I still feel the full blast of the emotions, the shivers I experienced when I encountered the vestiges of the Mayan tombs, the pyramids and their sculptures, the Aztec, Toltec, Zapotec expressions, the pyramids of the Moon and the Sun in Teotihuacan, the great serpent Quetzatcoalt, the red jade jaguar, the boleto game, the dense forest of Chiapas”. These are recent words written in Spain by Jack Beng-Thi. They evoke the journey he took in 1972, including his stay in Mexico City and in key sites of Pre-Columbian culture. One could say that the fascination that Mexico inspires in the artist was akin to the one felt by so many other writers and artists who arrived there from France or elsewhere in Europe. Among those arriving from France in previous decades, many were unorthodox and critical of any signs of chauvinism, but also open to enthralment: Soupault, Benjamin Péret, Alice Rahon, Artaud... Some even took in the primeval echoes of the diverse cultures of Mexico, imbuing their trajectories with new meaning. There is, for instance, Wolfgang Paalen with his magazine Dyn and his investigations of Amerindian culture, of that path that would be so influential in the work of abstract expressionist Robert Motherwell. Also intoxicated by the Mexican airs was Henri Michaux, who would also develop his graphic work and his writing with an eye on the Asian world.

Jack Beng-Thi arrived to this land when Mexican artists still felt drawn to Paris as the space of contemporary creation, even if they had known for decades that their own cultural roots were a source of original vitality and inspiration. One Zapotecan figure was already well known in Europe as well as America: Rufino Tamayo; others had barely started their work after living in Paris for a while. This is the case of Francisco Toledo. Today, the latter has retired to Oaxaca, which may express an attachment to his own individuality as strong as that of Boris Gamaleya in the Plaine des Palmistes. Jack arrived in Mexico in 1972.

We ought to consider that the family of Jack Beng-Thi has its roots in people that came from India and Vietnam, and in the circuns- tances that surround the multiethnic and cultural make of Reunion. As a child he heard Indian music, the Creole language, the constant circulation of peoples of diverse origins through Le Port, and was aware of the humiliation endured by the slaves and plantation workers brought from China or Madagascar; he recognised multiple accents that bore mythical tales and traditions of their own; he had learned that the world of the dead could partake of the ritual of life, of the most intimate party or of an encounter with faraway friends come to the cemetery of Le Port. And he knew of the difficulties faced by an artist in an island that distant from the cultural centres of Europe and America. He decided to go a few months after the uprisings of May 1968. He arrived in Toulouse in 1969 when the air is still permeated with the rebellion of many youths his own age. “The Fine Arts School of Toulouse was a sensitive space taken over by leftist students who were fighting for a change in the way art was taught. The plaster of the classical Greek figures flew in the streets. Debris from the sculptures were strewn in front of the school entrance. I was regularly visiting the school’s library”. Jack works and teaches literacy classes to foreigners arriving from the Maghreb and the East at the headquarters of the Confédération Générale du Travail de Toulouse. Also attending his classes are Mexicans, Argentineans, Peruvians, Bolivians...

Jack Beng-Thi feels the draw of a Spanish language and culture that are not European and sit far from France. He starts to read the writers that tell of this different reality and are native to the other continent. He perceives the Mexican visions characteristic of the novels of Carlos Fuentes; becomes acquainted with the world of popular myths and beliefs of Gabriel García Márquez, the Colombian writer that was experiencing great success worldwide at the time with One Hundred years of Solitude, a novel that would win him the Nobel Prize ten years later. It is then that he perfects his knowledge of Spanish. And that he decides to move once again.

Jack did not travel directly to Mexico. He went there via New York. It was 1972. The first steps on the continent that is the antipodes of his island. He visits the city, its streets, where once more he perceives a mixture of cultures, this time in multiracial neighbourhoods. And he visits the museums, already populated by the major artists of contemporary art from both sides of the Atlantic, ranging from the European vanguard artists to Pollock, Gorky, Motherwell, Tobey, Gottlieb... The streets are filled with vertiginous motion and neon signs. Only the black neighbourhoods seem to preserve the memory of their ancestors. The multiracial space that he had known as a child, the mixture of cultures that he lived in—which seemed to be perceived as a negligible chapter to the society of Toulouse—takes on gigantic proportions here. Nevertheless, the artist also recognises that its spiritual inspiration diverges greatly from that of his country of origin, from Le Port and Reunion, from the maroon past, from that heroic and painful murmur that can be perceived in the novels of Jean-François Samlong. In any case, he prefers the multiple, multiethnic voice that he has heard among the young Latin Americans. His experience in New York marks him profoundly, but in his own words “I have the impression that I am on another planet, a powerful visual impression that confuses me, it is the cold architecture of an automated society without any depth of soul.” Beng-Thi decides to go south to hear other voices and experience the allure of other images. He is not only concerned with art, but is curious to learn of other ways of being in the world.

He leaves New York heading for Texas, for the Mexican border. He travels by bus or hitchhikes. He watches states and cities go by: Pennsylvania, New Jersey, Maryland, Virginia, the Carolinas, Georgia, Alabama, Mississippi, Louisiana. He discovers a land so vast that it amazes anyone from Europe, let alone an islander. He sees how the states in North America are marked by the dominant presence of the black or multiethnic population; he gains a new appreciation of it, but also keeps in mind the conflictual interethnic and historical relations that characterise colonisation; he understands the struggle of the black people for their emancipation, the fight against “apartheid”. He evokes the African roots of part of the population of his island, which would become more manifest whenever he climbed and entered the Cirque de Mafate. Jack Beng- Thi arrives to Laredo, the frontier town. He takes an overnight bus that leads to the Mexican capital: San Luis Potosí, Guanajuato, Puebla and at last Mexico City. This city is immense too, with a population larger than that of New York, although he soon picks up the sound of distinct ancestral expressions of Aztecs, Mayans, Toltecs. It is his first encounter with the dense memory of the “city of lakes”. There, however, he meets with the Mendoza, the family of one of his Mexican friends in Toulouse. This makes his introduction to the country a different experience. The Mexicans not only boast a culture of roots and of cultures that have a peculiar relationship to the past, and even to the dead (as can be seen in many of the paintings by Rufino Tamayo, in the works of mural artists or in novels such as Malcom Lowry’s Under the Volcano) but are also known for their excellent hospitality.

Beng-Thi visits the colonial city, the Zócalo, the centre of town that holds so much evidence of the Spanish presence; he also perceives the roots of the many Mexican cultures that flow through its streets, as he hears natives speak in some of the numerous indigenous languages or in Spanish. He soon visits the diverse neighbourhoods of the city, some of which are inhabited by people from the European capitals. He sees the murals of Rivera and Orozco, visits Frida Kahlo’s Blue House in Coyoacan. In the churches he notices the hand of the indigenous artisan, different from a European’s, that makes everything ornamental, luminous, musical, with references to pre-Columbian deities despite its professed Catholicism. He works for a while on archaeological excavations for the National Museum of Anthropology, that impressive institution near the calzada Gandhi in the Bosque de Chapultepec, which had opened only a few years prior to the arrival of this artist from Reunion.

Soon he learns of the stay of the Austrian thinker Ivan Illich in Cuernavaca. A critic of industrial society and its values, and the defender of a different approach to education, Illich had founded the Centro Intercultural de Documentación, which attracts great figures of philosophy, economy, sociology... Jack attends its courses; he does not have money, but he barters by working in the centre’s kitchen. Reading Celebration of Awareness and Deschooling Society, and learning of a globalisation process that is starting to be perceived as a threat, Beng-Thi acquires an ecological conscience and a commitment to challenging the society of consumerism that he never relinquishes.

This in combination with the images seen in the National Museum of Anthropology, in the excavations, or the architecture of ancient Mexico exposes him to a vast past brimming with mysterious images and experiences. Now, at the National Museum, he has been able to see images of Tláloc, god of the rain, or the imposing Quetzalcóatl, the feathered snake ubiquitous in contemporary art and poetry; and the Mayan tools, masks, sculptures, idols and statuettes, items among the largest collection in the world of pre-Columbian art in Mesoamerica, mostly comprising items from the Mayan, Aztec, Olmec, Teotihuacán, Toltec, Zapotec and Mixtec cultures among others in ancient Mexico. “The notion of civilisation etches itself on my memory and impregnates it”, writes Beng-Thi.

And the artist continues his journey. He visits the pyramids of Teotihuacán, pictures how that culture used to imagine Queztalcoatl moving along the ample dusty avenue, as the people themselves simulated the feathered snake in the procession. Jack climbs the steep steps under the midday sun, and from the top of the pyramids he can feel the reach of ancestors as they suddenly acquire renewed meaning. And in his wish to perceive their existence, almost impossible to understand for a European in its depth and dimension, he decides to make yet another journey. Thus, he travels to the Yucatan peninsula, where the city of Chichen Itza stands in the full splendour of pre-Columbian culture: el Castillo, the temple of the warriors, the Tsompantli, the temple of the jaguars, the impressive architectural layout that demonstrates the vast cosmological knowledge of that culture. Jack Beng-Thi is moved by what he sees. Still, he continues travelling southwards, to Peru, to the Incan sanctuary of Machu Picchu.

What is left today of the Mexican and American experience? To be sure, the encounter with a universe of ancestral signs that sat at the root of his concerns and that has marked his sculpture from the beginning. When Jack Beng-Thi visited them for the first time, the Mexicans were researching their roots and in some instances establishing their ties to Asian cultures. Jack recognised a certain familiarity between the sculptures standing before his eyes and his memories of the Chinese or Hindu temples that he had seen in Reunion. But he saw much more, he felt the intense and powerful ancestral echo of artisans, of gods and men that would be etched in his memory. Long after having travelled through Africa, Europe and Asia, in the exhibition I was able to attend in 2009 in Saint Denis, Reunion, held after his visit to the villages of Tibet, there were works by Beng-Thi that held a boundless secret. I recalled, as I remember now, the expressions of resistance at the advance of uniformity and the free voices that open up this text. Does not Jack speak the same poetic language as Péret and Gamaleya, and does he not partake of a heritage and a group of ancestors that are not far removed from that poetry? Just as they did, here and there, Beng- Thi listens to the germination of life, to the enigmas of nature.

Nilo Palenzuela

Leçon de géographie fin de siècle pour Gringos monolingues

Dossier no 127, localisé dans ma gorge : « La politique du langage ». Je crois que les américains savent d’avantage d’espagnol qu’ils ne sont prêts à l’admettre, et je le prouverai tout de suite avec un poème :

Cher membre du public ici présent,

répétez avec moi à voix haute :

Mexique est Californie
Maroc est Madrid
Pakistan est Londres
Alger est Paris
Cambodge est San Francisco

Turquie est Frankfurt
Porto-Rico est New York
Amérique Centrale est Los Angeles

Honduras est Nouvelle-Orléans

Argentine est Paris

Pékin est San Francisco
Haïti est New York
Nicaragua est Miami
Québec est Pays Basque

Chiapas est Irlande
Ramallah est East LA
Kaboul est Tijuana
Bagdad est Nouvelle-Orléans

Ta maison est aussi la mienne.

Ta lange aussi la mienne,

et ton cœur sera à nous,

un de ces soirs

c’est la force du sud...
le sud dans le nord.
Le nord perd tout son sang, s’évapore

pour les siècles des siècles,
et tout d’un coup tu es un sans-abri,
tu as encore perdu ta terre.
Cher anti-paysan,
ton dilemme actuel es d’errer
dans une géographie transitoire de fous,

sans une lumière, sans une idée,
sans visa, ni flotte, merde.

Guillermo Gómez-Peña

La chute meurtrière des anges
La chute meurtrière des anges

La chute meurtrière des anges, 2002
Œuvre éphémère. Ephemeral work. Port-au-Prince, Haïti.

Blues habeas corpus

Blues habeas corpus, 2004. Installation. 40 m2. 15 Photographies. Photographs. 1,50 x 1 m. Photo sur papier, pieds et support bois, CD-Rom et video. Photograph on paper, stand and wooden bases, CD-Rom and video. COLL. Jack Beng-Thi. PHOTO Jack Beng-Thi.

Jack Beng-Thi, terres Caraïbes, accordages, tissages métissés des cultures

Biennale de La Havane, novembre 2000, parmi des dizaines d’installations, de sculptures, une œuvre retenait mon attention. Au centre d’une pièce claire blanchie à la chaux, une œuvre verte à même le sol. Bambou, feuilles naturelles fraichement coupées, assemblage symétrique, constituaient une sorte de damier tridimensionnel géant. L’entrechat des branches émondées évoquait des petits cadres parfaitement carrés, à l’intérieur desquels l’artiste avait disposé des images photographiques. Il me semble avec le recul, que des feuilles d’or constituaient le fond des alvéoles ainsi obtenues.

Il se dégageait une subtile tension, une sorte de dialogue entre le langage poétique, sylvestre, sauvage et l’élégance classique de la structure végétale. Celui où celle qui avait réalisé cela, arrivait d’un autre univers, me suis-je dite. Un je ne sais quoi de rituel oriental, une sorte d’offrande, de reposoir, qui m’a semblé étranger au « Nouveau Monde », l’Amérique, la Caraïbe. La forme cependant, trahissait une science académique, bien européenne. Je relevais quelques vagues accointances avec l’art brut, je retrouvais Alechinsky dans le quadrillage de la surface. Comme si l’intention de l’artiste avait été de brouiller savamment les limites opposant nature et culture. Mais, Il y avait surtout quelque chose de cérébral, d’intellectuel dans la mise en scène. Cette œuvre décidément était réfléchie, planifiée dans ses moindres détails. Le résultat était méticuleux.

L’installation constituée d’éléments végétaux, avait la grâce d’éviter la référence au paysage. C’était en soi, un tour de force.

Des catalogues abandonnés sur le sol formaient un tas, le nom de l’artiste se lisait : Jack Beng-Thi. Il arrivait de l’Océan Indien, de l’île de La Réunion précisément. Deux aspects de sa réalité me sont venus à l’esprit à ce moment là : il parle créole, certes, mais il est aussi français...

Nous ne tardons pas à faire connaissance, je lui adresse la parole dans mon créole haïtien. Il me répond dans son créole à lui, plus proche d’un vieux français qui aurait trempé dans un bain oriental. Le miracle c’est que nous nous comprenons !

C’était dans un vieux fort colonial tout en pierre, la mer magnifique et bleue battait les remparts, la vue sur la vieille ville se révélait imprenable, ce qui s’en suit de cette rencontre, compose le récitatif d’une décennie d’amitié, au pluriel, puisque nos réseaux artistiques vont se croiser, se superposer voire se confondre. Ainsi Myriam Mihindou, photographe et complice de Jack, expose deux fois en Haïti y produit toute une série sur la thématique des « corps exploités », collabore avec la compagnie de théâtre de Georges Belleck, elle va fonder avec mes amis Giscard Bouchotte, David Damoison, Kapwani Kiwanga et moi même, le noyau du collectif « AfricAméricA/Europe ». Parallèlement les échanges entre Haïti et La Réunion vont s’intensifier à travers plusieurs disciplines, la sculpture, la photographie, le cinéma.

Mais c’est en prenant fait et cause pour la communauté artistique haïtienne que Jack va prendre très vite la mesure déchirante, de son attachement à Haïti. De fait, dès sa création, la Fondation AfricAméricA malgré elle se retrouve trop souvent engagée, dans des campagnes de protestations et des plaidoyers. Pour cause, un enchaînement de tragiques évènements engendrés par l’instabilité politique et l’absence d’état de droit caractérisant cette période va foudroyer notre jeune structure qui n’a alors que la vocation de promouvoir la création contemporaine :

– Avril 2004, au départ de l’ex président Aristide, les troupes rebelles assistées de fanatiques religieux assaillent le Musée de l’Indépendance et détruisent une centaine d’œuvres d’art dont la précieuse collection de sculptures vodou de Pierre Barra. J’assure alors, à titre de présidente de la Fondation AfricAméricA, le commissariat de l’exposition.

– 14 Juillet 2005, le journaliste et critique d’art Jacques Roche, membre de fondateur du Forum Tranculturel d’Art Contemporain, alors principale activité de la Fondation AfricAméricA est retrouvé assassiné et mutilé après quelques jours de séquestrations et de négociations entre son entourage et ses ravisseurs.

– Avril 2009, le créateur multimédia et réalisateur haïtien Maxence Denis, membre actif de notre collectif, subi une agression homophobe dans la région de Jacmel et est laissé pour mort. Il sera transporté en urgence à Santo Domingo et aura la vie sauve.

Toutes ces fois là, Jack Beng-Thi est de toute les batailles, il informe, fait circuler les pétitions, publie. Son nom au coté du poète géographe canadien, Jean Morisset, figure à chaque fois en première ligne des lettres publiques, des pétitions, des notes à l’intention de la presse.

En 2008, le jeune sculpteur haïtien Joseph Casséus décède d’une malaria contactée lors d’un festival au Togo, Jack est là, une fois de plus, avec les mots d’amitiés, les souvenirs, les images que nous partagerons entres amis au cours de la veillée artistique traditionnelle...

Jack, ami d’Haïti, pour le meilleur (la création) et le pire (la violence, l’injustice).


Je crois résumer les deux axes d’intervention de Jack Beng-Thi, dans le contexte caribéen et haïtien par:

– L’action créative.

– L’action politique.

L’une soutenant l’autre dans une réciprocité, salutaire, humaniste.

Montréal 2002, Festival Vues d’Afrique. A titre de Commissaire de l’évènement, j’invite Jack Beng-Thi à participer pour la première fois à une activité d’AfricAméricA.

Artistes et chercheurs interviennent par des moyens visuels, des panels et discussions sur le thème « Nouveau Monde/Mondes nouveaux ». La Société d’Art Technologique, la SAT, qui accueille l’évènement présente divers inconvénients. C’est la Mecque montréalaise de la musique techno, une foule multiculturelle et trépidante y danse le soir entre les installations les projections et les performances.

Christopher Cozier de Trinidad, Maxence Denis (Haïti), Frédéric Koenig (France), Roberto Stephenson (Italie/Haïti), Carolina Echeverría (Chili/Canada), Adriana González-Brun (Paraguay) et moi-même, présentons des œuvres suspendues aux poutres métalliques du plafond, ou des installations par terre, signalées par divers stratagèmes et protégées des danseurs. Les œuvres sont forcément lumineuses, soit éclairées par de puissants projecteurs.

Jack Beng-Thi attaque avec Territoire haïtien : nous avons tous besoin d’un petit paradis fiscal près de chez soi, une installation autoportrait qui délivre son propre corps de la pesanteur. Son image en chute libre, vidée de sa substance identitaire. Ce n’est pas un vol d’Icare, ignorant la lumière des Dieux solaires. Au contraire, sa tête fonce vers un sol invisible. Anticipation de l’inévitable et fatal choc. Est-ce un, suicide ? Un homicide ? Je pense aux « identités meurtrières » d’Amin Maalouf. La référence à l’identité est inévitable, pour cause l’artiste est reconnaissable. Ni blanc, ni noir, trop grand pour un cliché d’asiatique. Ce corps renversé, subi une agression. L’identité est-elle l’agressée ou l’agresseur ? Comment atteindre un signalement aussi indéfinissable ? Ce corps en chute libre nous échappe, il nous glisse entre les doigts. L’identification constitue l’unique et maigre butin du spectateur reconnaissant Jack Beng-Thi, mais son identité fugitive adopte le « marronage », cette forme de résistance, née dans les champs de canne au temps de la traite.

Liberté ou la mort !, criaient en 1791, les esclaves révoltés de Saint-Domingue.

Ce printemps là, la dernière neige posait un blanc manteau sur les massifs fleuris bordant les rues de Montréal. Il faisait bon de se retrouver au Baobar, entre deux projections de films africains ou créoles autour d’une bière gratuite distribuée par le sponsor officiel. Jack se gavait de cinéma. Il rencontrait tous les réalisateurs, profitant de l’occasion pour obtenir des signatures au bas d’une pétition dénonçant la disparition de Kaya, musicien de l’île Maurice, décédé des suites de traumatismes causées par les brutalités policières. Je découvrais l’artiste militant.

J’ai regretté d’avoir si peu échangé avec Jack, cette fois ci.

Je me suis rattrapée quelques mois plus tard à Port-au-Prince, où le Forum continuait en novembre 2002. Alors qu’une exposition au Musée d’Art Haïtien rassemblait les œuvres de tous les participants, Jack décidait de construire une œuvre éphémère La chute meurtrière des anges, en pleine rue, dans un espace libre situé juste en face du portail de l’Ambassade de France. Le site choisi se plaçait également dans l’axe d’accès au Musée. Aidé d’une dizaine d’étudiants en arts plastiques de l’École Nationale des Arts (ENARTS), il avait érigé une structure pyramidale en bambou encerclée de tiges de canne à sucre et feuilles de bananiers. Au pied du montage, une grande photographie d’un autre journaliste haïtien assassiné, Jean Léopold Dominique. Des dizaines de noms de victimes politiques, imprimés sur du tissus, flottaient autour de la structure.

Au début les passants pressés ne s’intéressaient guère à l’activité de Jack et de son groupe de jeune. Mais, une fois l’image du martyr haïtien posée au sol, une foule grandissante de curieux, l’encerclait. C’est là que Jack s’est mis à filmer les réactions du public. Les uns et les autres surmontaient leur terreur et s’exprimaient sur la fin brutale du journaliste militant et l’incompétence flagrante de la justice haïtienne.

Il faut dire que les assassinats politiques étaient monnaies courantes à Port-au-Prince, en ce temps là. Un sanguinaire despote, un de plus, y faisait régner sa loi. Les familles haïtiennes pansaient leurs plaies, veillaient leurs morts en espérant une débâcle qui surviendrait deux ans plus tard en février 2004.

C’est dans ce contexte de violence, de peur, que Jack Beng-Thi provoque les consciences haïtiennes et rencontre quelques mois plus tard, à La Réunion cette fois, Michèle Montas, la courageuse veuve du martyr Jean L. Dominique.

Deux ans plus tard, le Forum 2004, se déroule le contexte mouvementé du bicentenaire de l’indépendance de la République d’Haïti, première République noire, deuxième état républicain des Amériques, après les États-Unis. Cette commémoration, n’a pour- tant pas permis à Haïti de valoriser sa culture ni d’acquérir un surplus de visibilité internationale. Tout au contraire. Le bicentenaire de son indépendance (1804/2004) a offert au monde entier, le spectacle de bandes armées détruisant et brûlant des œuvres d’art exposées au Musée éphémère de l’Indépendance.

Dans un pareil environnement, le rendez-vous international convoqué par la Fondation AfricAméricA autour du thème « codes noirs » peux difficilement se distancier. Ainsi Jack Beng-Thi tout en présentant sur l’esplanade de la FOKAL, une installation intitulée Blues Habeas Corpus, 15 impressions noir et blanc montées sur des supports cruciformes de bois noirci, d’images de lutteurs sénégalais, évoquant les diverses formes antiques et actuelles d’exploitation du corps noir Africain, ouvrira le Forum en délivrant un texte cosigné par le géographe poète Canadien, Jean Morisset :

Nous tous...
participants, artisans,

interprètes, chercheurs & artistes

d’AfricAméricA

Nous tous...
venus de trois continents

& de trois océans
et réunis à Port-au-Prince

du 1er au 15 août 2004,
à l’occasion du
3ème Forum Multiculturel

d’Art Contemporain...

Nous déclarons ce qui suit
en cette année du
Bicentenaire de l’Indépendance d’Haïti

qui aura à jamais infléchi & transformé

le destin des Amériques

Nous annonçons à tous
que nous sommes toujours là

Nous annonçons à tous
que nous sommes toujours animés du même rêve :

celui d’être souverains de soi-même,
celui d’être investis de sa propre mémoire,
celui de demeurer engagés dans une lutte commune

pour la libération de l’art et du corps,
sous le plaisir d’un art libre et total

Haïti a indiqué la voie...
À nous tous de l’emprunter à notre tour

pour la suite du monde

Entre violence, réclusion, viol,

conspiration et destruction,

Haïti a tellement lutté,
Haïti s’est tellement battue

pour renaître à elle-même

C’est comme si s’était commis ici
un péché sans rédemption possible
au nom de la libération de l’esclavage,

c’est comme si cette terre avait perpétré

l’irréparable de l’Histoire

Et nous tous...
de La Réunion, de la Caraïbe,

d’Afrique et du Canada,

d’Europe également,

Nous nous adressons

aux peuples du monde

depuis le Pays Haïti

Forts de notre droit

à l’incertitude et à l’impalpable,

nous disons que personne
ne se trouve fondé
d’écrire notre histoire à notre place

en s’offrant en infusion

nos mémoires et nos rêves

Et c’est pourquoi
nous réclamons
la pleine possession
du territoire de notre corps

 et la pleine jouissance

de tous les créoles qui nous animent

Non à l’effacement,
Non aux libertés imposées,
Non à toutes les dettes spirituelles

qu’on veut nous imputer

Non aux relations tronquées,
Non à la mendicité de toute reconnaissance,

Non à la pitié compatissante,
Non à notre transformation complaisante

en objets surréalistes
pour les délires des princes et des banques

Et vous tous, de l’Europe et des États-Unis,

soyez riches à votre façon
si bon vous semble...
mais que cessent

ce taraudage moral et cette insistance

à nous imposer vos règles
et vouloir corriger notre âme
à l’aide de vos dictionnaires

Que cessent
cette contention et cette persistance
à sans cesse vous approprier notre cœur,

au nom de l’art et du patrimoine universel

Nous sommes et nous demeurons

en état de révolution permanente

pour la suite de l’histoire

Jean Morisset et Jack Beng-Thi.

Déclaration produite ce 12 août 2004,

à l’ombre du tamarinier
du Centre Culturel AfricAméricA...

avec un clin d’œil
au mapou, au baobab, au séquoïa,
au cyprès, à l’érable, et au flamboyant.

Barbara Prézeau Stephenson, Haïti, Juin 2010

Jack Beng-Thi, 
Caribbean lands, synchronicity and the miscegenated tissue of cultures

Havana Biennial, November 2000. One work stands out among the scores of installations and sculptures. At the centre of a clear, whitewashed room, a green piece spreads over the floor. A symmetrical arrangement of freshly-cut natural bamboo leaves created a kind of gigantic three-dimensional chessboard. The pattern of cut branches made up small perfectly square frames in which the artist has placed photographic images. If my memory serves me right, the cells were also covered with gold leaf.

The outcome was a sense of subtle tension, a sort of dialogue between a wild, poetic, feral language and the classic elegance of the vegetal structure. I thought to myself that whoever had created this work must have come from some other world. It had an indefinable something of Oriental ritual, an offering of sorts, a kind of processional station that in my view was removed from the “New World”, from America, from the Caribbean. On the contrary, the form was denotative of a markedly European academic training. I also detected vague affinities with art brut while the surface grid brought Alechinsky to mind. It was as if the artist had had the intention of astutely toying with the line separating nature and culture. But, above all, the mise en scène revealed something cerebral, intellectual. It was patent that the piece had been conceived and planned down to the tiniest detail. The end result was so meticulously thorough.

In spite of being made with vegetal elements, the installation nimbly sidestepped any reference to landscape, which is a true feat in itself.

In a pile of catalogues on the floor it was possible to distinguish the name of the artist: Jack Beng-Thi. He came from the Indian Ocean, more specifically from Reunion Island. At that moment, two things immediately sprung to mind: he would surely speak Creole, but he would also be a Frenchman...

It was not too long before we had a chance to meet, and I addressed him in my Haitian Creole. He answered me in his own Creole, one closer to an old French dipped in an Oriental bath. The miracle was that we could understand each other!

We were in an old stone colonial fort with the magnificent blue sea breaking against the walls and wonderful views of the old town. That encounter was the beginning of a decade of friendship, or of friendships, for our respective art scenes crossed, overlapped and sometimes merged. Myriam Mihindou, a photographer and accomplice of Jack, exhibited twice in Haiti, where she produced a series on the subject matter of “exploited bodies,” collaborated with the Georges Belleck’s theatre company and founded, together with my friends Giscard Bouchotte, David Damoison, Kapwani Kiwanga and myself, the core group of the AfricAméricA/Europe collective. Meanwhile, the exchanges between Haiti and Reunion intensified in a number of disciplines including sculpture, photography and cinema.

But it was when defending the Haitian art community that Jack became aware of his poignant links with Haiti. In point of fact, since it started, the AfricAméricA Foundation has been involved, much to our regret, in a number of denunciations and protest campaigns. As a result, our still young organisation, whose only mandate is to promote contemporary creation, was struck by a chain of tragic events, created by the political instability and lack of democracy characteristic of that period:

– April 2004: Following the departure of President Aristide, the rebel troops, incited by religious fanatics, assaulted the Musée de l’Indépendance and destroyed around one hundred artworks, including the invaluable collection of voodoo sculptures by Pierre Barra. I was the exhibition curator in my capacity as President of the AfricAméricA Foundation.

– 14 July 2005: The journalist and art critic Jacques Roche, a founding member of Forum Transculturel d’Art Contemporain, at the time the main activity of the AfricAméricA Foundation, was kidnapped, murdered and mutilated after being several days of negotiations between the kidnappers and his family and friends.

– April 2009: The multimedia Haitian artist and director Maxence Denis, an active member of our collective, was the victim of an homophobic attack in the region of Jacmel and left for dead. He was taken urgently to Santo Domingo, where his life was saved.

On all those occasions, Jack Beng-Thi was in the thick of things, informing, leading public appeals, making statements and publications. His name, together with that of the Canadian geographer Jean Morisset, was invariably at the head of public letters, appeals and press releases.

In 2008, the young Haitian sculptor Joseph Casséus died of malaria, after contracting the disease at a festival in Togo. Once again, Jack was there, with his words of support and with the memories and images we shared with our friends during the traditional artistic wake...

Jack is a friend of Haiti for better (creation) and for worse (violence, injustice).

I believe Jack Beng-Thi’s intervention in the Caribbean could be divided into two:

– Creative action.

– Political action.

One backs the other in a healthy, humanistic reciprocity.

Montreal 2002, Vues d’Afrique Festival. In my capacity as curator of the event, I invited Jack Beng-Thi to take part in an AfricAméricA activity for the first time.

Artists and researchers took part with visual media, in panels and in debates around the theme “New World/New Worlds.” The headquarters of SAT (Société d’Art Technologique) the organisers of the festival, had some drawbacks. In Montreal’s Mecca for techno music, an excited multicultural crowd danced at night among the installations, projections and performances.

Christopher Cozier (Trinidad), Maxence Denis (Haiti), Frédéric Koenig (France), Roberto Stephenson (Italy/Haiti), Carolina Echeverría (Chile/Canada), Adriana González-Brun (Paraguay) and myself presented our works suspended from the metal beams in the ceiling and installations on the ground, marked with a number of stratagems and protected from the dancers. The works had to be bright or be illuminated with powerful spotlights.

Jack Beng-Thi presented a frontal attack with his Territoire haïtien: nous avons tous besoin d’un petit paradis fiscal près de chez soi [Haitian Territory: we all need a little tax heaven near home], a self-portrait installation that freed his own body from all heaviness. His image in free fall is emptied of his identifying substance. It is not the flight of an Icarus defying the light of the sun gods. On the contrary, his head plunges towards an invisible floor. The announcement of the inevitable crash. Is it a suicide? A homicide, perhaps? I am reminded of Amin Maalouf’s “Deadly Identities.” One cannot help thinking about identity. It is no coincidence that the artist is recognisable. He is neither white nor black, and he is too tall for a stereotyped Asian. This inverted body is the subject of aggression. Is identity the victim or the perpetrator of that aggression? How could one reach a conclusion from something so indefinable? This free falling body escapes from us, slips through our fingers. Identification is the only meagre booty for the spectator who recognises Jack Beng-Thi. But his fleeing identity takes the form of “cimarronaje,” that form of resistance of escaped slaves in the sugar-cane plantations.

Freedom or Death! was the cry of the rebel slaves from Santo Domingo in 1791.

That spring, the late snow left a white cloak on the flowerbeds on the streets of Montreal. It was a pleasure to meet at the Baobar, invited to a beer by the official sponsor, in the intervals between the screenings of African or Creole films. Jack gorged himself on films. He wanted to see the works of all the directors and use the occasion to add his signature to a campaign condemning the death of Kaya, a musician from Mauritius, who died as the result of a brutal police beating. It was here that I discovered the militant artist.

To my regret, I did not talk much with Jack on that occasion.

However, I readdressed the situation a few months later, this time in Port-au-Prince, where the Forum held its next event in November 2002. While an exhibition at the Musée d’Art Haïtien displayed works by all the participants, Jack decided to build an ephemeral work La chute meurtrière des anges [The Murdering Fall of the Angels] in the street, in a vacant lot opposite the entrance to the French Embassy. The location chosen was also by the entrance to the museum. With the help of ten art students from the École Nationale des Arts (ENARTS), he built a bamboo pyramidal structure surrounded by stalks of sugarcane and banana leaves. At the foot of the pyramid he placed a large photograph of another murdered Haitian journalist, Jean Léopold Dominique. Scores of names of political victims written on bits of fabric floated in the wind around the structure.

At first glance, the pedestrians rushing past did not take much notice of what Jack and his group of young assistants were up to. However, when he put the image of the Haitian martyr in place, a growing crowd of onlookers soon gathered. Then, Jack started to film the reactions of the public. Each in his or her own way, the people overcame their fear and expressed their views about the violent death of the activist and about Haitian justice’s blatant lack of competence.

We would have to add that, at the time, political murders where common currency in Port-au-Prince. Another bloodthirsty tyrant was imposing his law. Haitian families licked their wounds, held wakes over their dead ones and expected a fatal end, which arrived two years later, in February 2004.

Against this milieu of violence and horror, Jack Beng-Thi stirred the consciousness of Haitians and, sometime later, he welcomed Michèle Montas, the brave widow of the martyr Jean Dominique, to Reunion.

Two years afterwards, the Forum 2004 was held against the restless backdrop of the bicentenary of the independence of the Republic of Haiti, the first black republic and the second republican state in America after the United States. However, the commemoration did not provide Haiti with an opportunity to extol its culture or to achieve greater international visibility. On the contrary, the bicentenary of its independence (1804-2004) offered the whole world a spectacle of armed gangs destroying and setting fire to artworks exhibited at the ephemeral Musée de l’Indépendance.

The international encounter, organised by the AfricAméricA Foundation around the theme “black codes” could not remain aloof from such events. On the terrace of the FOKAL Jack Beng-Thi presented an installation titled Blues Habeas Corpus, consisting of 15 black and white prints mounted on cruciform blackened wood supports, with images of Senegalese fighters, evocative of the many ancient and current forms of exploitation of the African black body, and opened the Forum by distributing a text written by the Canadian geographer and poet Jean Morisset:

All of us... / participants, artisans, / performers,

researchers and artists / of AfricAméricA

All of us... / coming from three continents / and

from three oceans / and gathered in Port-au-

Prince / from 1st to 15th August 2004, / on

occasion of the / 3rd Forum Multiculturel / d’Art

Contemporain

State what follows / in this year commemorating

the / Bicentenary of the Independence of Haiti

/ that altered and transformed for ever / the

destiny of the Americas

We announce to everyone / that we are still here

We announce to everyone / that we still dream the same dream:

/ of being sovereigns of ourselves,

/ of being inhabited by our own memory, /

committed to a common struggle / for the

liberation of art and of the body, / with the joy

of a free and total art

Haiti pointed the way... / Now it is up to us to

start out on it / for the continuity of the world

Between violence, reclusion, rape, / conspiracy

and destruction, / Haiti has struggled so much, /

Haiti has fought so much / to be reborn of herself

It is as if an unredeemable sin / had been committed

here / in the name of the liberation from slavery, /

it is as if this land had perpetrated / what

remains irreparable in History

And all of us... / from Reunion, from the

Caribbean, / from Africa and from Canada, /

also from Europe,

Speak to / the peoples of the world / from the

country of Haiti

Based on our right / to uncertainty and to the

impalpable, / we say that nobody / is authorised

/ to write our history on our behalf / based on

our memories and dreams

For all that / we vindicate / the entire possession

/ of the territory of our body / and the full

enjoyment / of all the Creoles encouraging us

No to annihilation, / No to imposed liberties,

/ No to all those spiritual debts / they wish to

attribute to us

No to truncated relationships, / No to begging

for recognition, / No to compassionate mercy, /

No to our complacent transformation / into

surrealist objects / for the ecstasy of princes and

banks

And all of you, from Europe and from the

United States, / be rich in your own way / if you

don’t mind... / but stop / that moral torment and

that insistence / in imposing your rules upon us /

in wishing to correct our soul / with the help of

your dictionaries

Enough of / that thirst and that obstinacy / in

always wanting to take possession of our heart, /

for the sake of art and universal heritage

We are, and continue being, / in a state of

permanent revolution / for the continuity of

history

Jean Morisset et Jack Beng-Thi.
Statement issued today, 12th August 2004,
under the shadow of the tamarind
of the Centre Culturel AfricAméricA...
with a nod
to the mapau, to the baobab, to the sequoia,
to the cypress, to the maple and to the flamboyant.

Barbara Prézeaux Stephenson, Haïti, June 2010

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